Jean sans peur
joie et de résurrection.
– Sans doute, vous êtes étonnée, madame, continua le sorcier. Lorsque j’ai emmené ce jeune homme, il était condamné à mort – condamné par vous. Je le conduisis dans, les carrières. Nul n’en est jamais sorti, à moins d’être guidé par quelque mystérieuse Ariane. Or il n’y a pas d’Ariane dans ces sombres demeures. Passavant n’avait aucun guide. Et il est sorti, madame !
Isabeau palpitait.
– L’avez-vous donc vu ? murmura-t-elle.
– Je l’ai vu. Je sais qu’il doit venir au palais du roi. Lui-même me l’a dit. Il viendra !
– Pour voir Odette ! gronda la reine. Eh bien, soit ! Il ne la verra pas ! Ou, s’il la voit, je serai là, moi ! Et devant lui… qu’il la défende, s’il peut ! Qu’il porte la main sur moi, s’il ose !…
Saïtano s’inclina profondément devant la reine. Il la voyait à bout d’émotion. L’amour et la haine, la rage, la jalousie, la joie de savoir le chevalier vivant, la fureur de se savoir dédaignée, ces sentiments divers s’entre-choquaient dans sa pensée, – et, impuissante à garder cette attitude d’indifférence qu’elle avait adoptée, elle ordonna d’un geste à Saïtano de se retirer.
– Madame, dit le sorcier toujours incliné, je crois que je viens de vous rendre un signalé service. Je vous prie humblement de me le payer à sa valeur.
– Comment ? fit Isabeau étonnée, – car jamais Saïtano ne lui avait demandé d’argent.
– Donnez-moi, dit le sorcier, donnez-moi un laissez-passer pour que je puisse sortir ce soir à la nuit de l’Hôtel Saint-Pol. Ajoutez qu’on laisse passer aussi celui qui m’accompagnera portant un fardeau sur ses épaules.
– Soit ! dit Isabeau avec amertume. Je suis encore reine et je puis donner le laissez-passer dont tu as besoin. Mais je suis prisonnière aussi ! Reste à savoir si les gardes de l’Hôtel Saint-Pol tiendront ma signature pour valable…
– Madame, dit doucement Saïtano, vous possédez en blanc des ordres signés par le roi Charles…
Isabeau tressaillit. Tout autre que le sorcier eût sans doute payé de sa vie d’aussi audacieuses paroles. Mais il y avait pour lui des grâces d’État. La reine passa dans son appartement et, revenant au bout de quelques minutes, tendit à Saïtano un parchemin qu’il lut et fit ensuite disparaître sous son manteau.
Saïtano, ayant remercié la reine comme il convenait, sortit du palais et gagna la tour Huidelonne où il s’enferma avec le geôlier. Il est à remarquer qu’en cette journée, le sorcier n’entra pas un instant dans la salle où se trouvait le cadavre de Bois-Redon. Ce qu’il fit en ce jour, à quoi il occupa son temps dans cette tour, c’est ce qui nous échappe. Le soir vint. Vers cinq heures, la nuit était noire. Mais Saïtano attendit encore. Il attendit jusqu’à l’heure probable où les rues de Paris seraient désertes.
Ce fut donc seulement vers neuf heures qu’il entra dans la salle où Bois-Redon, les yeux ouverts et fixes, dormait le seul sommeil paisible que tôt ou tard connaît enfin chaque créature.
Le geôlier enveloppa le cadavre d’un vaste manteau et, le traînant jusqu’à la porte extérieure de la tour, le déposa dans une petite charrette aux brancards de laquelle il s’attela.
À travers les neiges se mit à rouler la petite charrette, laissant derrière elle le double sillon de ses roues ; Saïtano marchait devant, d’un pas égal, et il marmottait de certaines choses incompréhensibles. Arrivé à la grand’porte de l’Hôtel Saint-Pol, il montra son laissez-passer, et le chef de poste, en jurant, se plaignit que pour un misérable suppôt d’enfer, on fût obligé de baisser le pont-levis à l’heure de dormir.
Saïtano se trouva dans la rue et, alors, se plaça derrière la charrette, indiquant parfois d’un mot bref au geôlier le chemin qu’il fallait suivre. Ce groupe allait lentement par les ténèbres ; le geôlier se taisait ; Saïtano marchait tête basse en ruminant ses pensées ; seul, le cadavre, de temps à autre, cahoté et se heurtant aux parois, interrompit ce silence. On arriva dans la Cité. On s’arrêta devant la maison du sorcier. Le corps de Bois-Redon, à nouveau, fut traîné, et enfin, se trouva reposer tranquillement sur la table de marbre.
Le geôlier s’en alla, taciturne, indifférent. Saïtano referma sa porte, la verrouilla, la cadenassa, alluma le flambeau à triple cire, le
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