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Jean sans peur

Jean sans peur

Titel: Jean sans peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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posa sur la table près de la tête de Bois-Redon.
    Puis, il ouvrit l’armoire de fer, et dans le grand coffre du rez-de-chaussée, prit quelques manuscrits qu’il déposa sur la table. Ils étaient écrits d’une large écriture régulière. Mais entre les lignes, et dans les marges, de nombreuses annotations couraient, d’une écriture hérissée et sèche.
    Les caractères puissants étaient de Nicolas Flamel.
    Les caractères maigres étaient de Saïtano.
    Le savant se mit relire, suivant du bout de son doigt maigre son écriture à lui, enchevêtrée dans celle de Flamel. Il lisait avidement. Et pourtant, ces manuscrits, il les savait par cœur. Parfois, il redressait la tête, et écoutait attentivement, lorsque l’horloge du Palais de la Cité, logis royal alors au même titre que le Louvre et l’Hôtel Saint-Pol, jetait dans le gouffre du vaste silence d’hiver ses appels de tristesse énorme. Il comptait les heures, puis se remettait à lire.
    Trois fois encore, il se leva, et à chaque fois, de l’armoire de fer, apporta un flacon. De chacun de ces trois flacons, il versa dans une coupe une trentaine de gouttes, et il agita le mélange sur lequel il versa un peu d’eau. Puis, d’un geste distrait, il repoussa les manuscrits, et se remit à contempler Bois-Redon. Un ricanement secoua le sorcier qui murmura :
    – Je le vois encore, quand, sur ses épaules, il m’apporta l’enfant. Il le déposa là sur cette table et s’en alla en me jetant un regard de malédiction. L’enfant est devenu l’invincible chevalier… et Bois-Redon est maintenant sur la table. Rassure-toi, ajouta-t-il en posant la main sur le front glacé du cadavre, le scalpel ne te menace pas, toi. Tu n’es pas destiné à la grande tentative de la transfusion de sang vivant. Tout ce que je te demande, c’est un signe, si faible qu’il soit, une preuve que l’élixir de vie a pu lutter contre la mort. Cadavre, tu n’es qu’un champ de bataille…
    Il se tut subitement et, l’oreille tendue vers le vaste silence, écouta.
    – Non, murmura-t-il. Ce n’est pas l’heure encore. Les heures sont lentes à s’écouler ce soir. Minuit ne viendra donc pas !… Minuit, c’est l’heure favorable.
    Il se mit à marcher lentement et sans bruit dans la salle, sans plus jeter un coup d’œil ni au cadavre, ni aux manuscrits, ni au mélange qu’il avait préparé dans la coupe. Il marmottait ses réflexions, comme font les solitaires, – comme si l’homme éprouvait l’impérieux besoin de se prendre soi-même à témoin de son effort.
    – Le vulgaire, disait-il, croit que les heures sont indifférentes, toutes pareilles les unes aux autres, simples relais dans la marche du temps. Minuit est pourtant une heure étrange. Une heure ? Un instant, un laps de temps inimaginablement bref où s’accomplit un phénomène énorme : le passage d’un jour à un autre ! Voici un jour qui tombe dans le néant, et en voici un autre qui se lève. Ils se poussent sans trêve depuis les lointains commencements des temps, comme les vagues de l’océan… une qui se brise sur le rivage, et en même temps l’autre qui est là qui se gonfle, toute prête à se briser. Minuit ! Minuit, c’est la seconde du mystère. C’est donc à cette heure que doit s’accomplir tout ce qui est mystère…
    Tout à coup, il frissonna.
    L’horloge du palais de la Cité, de sa voix d’inexprimable solennité, parlait aux Parisiens. Et, cette fois, elle leur disait : C’est minuit ! Rapidement, Saïtano saisit la coupe, desserra les mâchoires de Bois-Redon et versa dans la bouche le mélange qu’il avait préparé. Puis il laissa retomber sur les dalles la coupe qui roula avec un bruit sonore. Et il demeura penché sur le cadavre, immobile, raidi, les cheveux Hérissés, les yeux exorbités, pantelants sous l’effroyable étreinte de cette angoisse que cause « l’attente »…
    Une minute s’écoula… puis une autre… puis d’autres encore…
    Saïtano demeurait dans la même position.
    Il râlait. La douleur de l’« attente » portée à son paroxysme le faisait trembler jusque dans les profondeurs de l’être. Ses yeux fous demeuraient rivés aux yeux grands ouverts du cadavre. La sueur, à grosses gouttes, roulait sur son maigre visage…
    Enfin, un soupir de désespoir gonfla sa poitrine. Il recula en bégayant :
    – Rien !…
    Non, rien. Dans l’apparence immobile du cadavre, rien n’avait donné le faible signe

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