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Jean sans peur

Jean sans peur

Titel: Jean sans peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
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contemplait Saïtano.
    Le sorcier demeura là, luttant contre le furieux assaut des centaines de sentiments déchaînés en lui ; il resta immobile, insensible, les yeux rivés sur ce sourire qui s’affaiblissait et disparut enfin…
    Le sorcier, lentement, se redressa, et regarda autour de lui, stupéfait des clartés qui l’enveloppaient.
    Il faisait grand jour !
    Alors Saïtano se mit à trembler. Cet homme qui avait disséqué de nombreux cadavres, qui avait passé des nuits et des nuits en tête à tête avec les morts, ce savant pour qui la mort n’était qu’un problème à résoudre, éprouva soudain une impression qu’il ne connaissait pas. Cela s’abattit sur lui à l’improviste. Il se sentit faible, désarmé, incapable de lutter contre cette impression que jamais il n’avait analysée.
    C’était la peur ! C’était la redoutable décomposition des organismes de la pensée ! Peur !… Peu de gens peuvent se vanter d’avoir vraiment connu la peur, et de l’avoir supportée. Saïtano avait peur…
    Il eut peur de ce mort qui avait parlé, proféré des verbes inhumains non destinés à des oreilles humaines.
    Parlé ? Était-ce vrai ?… Oui, l’élixir avait arrêté l’anéantissement. Oui, Bois-Redon s’était trouvé suspendu au-dessus des gouffres de la mort, sans qu’il pût leur échapper… Mort, des sensations avaient survécu, et il avait parlé. Parlé du fond de la mort ! Parlé sans que la vie eût palpité en lui !…
    Une terreur insensée s’infiltra jusqu’à l’âme de Saïtano. Lui, l’homme du mystère, comprit qu’il avait outrepassé les possibilités et côtoyé des mystères inaccessibles à l’intelligence humaine. Il se vit seul, et il eut l’ineffable horreur de la solitude. Il lui parut que mieux encore valait mourir, renoncer à son rêve d’éternité, que de rester seul en présence de ce cadavre. D’un effort furieux, d’une véritable secousse, il parvint à s’arracher de la place où il se trouvait, et fit quelques pas en trébuchant, surveillant Bois-Redon par-dessus son épaule, et il râla :
    – Gérande !…
    Que Gérande se montrât seulement, qu’il fût seulement une minute en présence d’un être humain vivant, et il était sûr d’échapper à l’intolérable étreinte de la peur qui lui incrustait ses griffes au cerveau.
    – Gérande !…
    Son propre cri, répété cette fois plus fort, le fit frissonner. Il s’avança encore vers la porte, vacillant sur ses jambes, tenant sa tête à deux mains ; soudain, il s’arrêta : son pied venait de heurter quelque chose ; tout de suite, il sut ce que c’était, mais il n’osait regarder ; il se mit à hurler :
    – Gérande !…
    Et il savait que Gérande était là, à ses pieds, en travers de la porte. Un espoir soudain le ranima : évanouie ? Oui, peut-être. Et il aurait tôt fait de la ranimer à la vie. Brusquement, il s’agenouilla. Un regard suffit à son œil expert : Gérande était morte, – morte de peur au moment où le cadavre de Bois-Redon s’était mis à parler. Son bras raidi s’allongeait encore vers la table comme pour dénoncer l’effroyable mystère.
    Saïtano à genoux se pencha. De plus en plus, il se pencha sur Gérande morte. Il lui sembla que sa tête était pleine d’éclairs qui se croisaient, et de bruits pareils au fracas du tonnerre. Il se pencha encore, une force irrésistible, lentement, le courbait. Sa pensée se disloquait. Le sens des choses familières fuyait. Et d’autres sens s’éveillaient en lui, lointains encore, vagues et tremblotants comme des lumières qu’on allume tout au fond des nuits opaques… le sens des choses qu’il ignorait… des sens inconnus qui faisaient de lui un homme non semblable aux autres.
    La force qui l’étreignait à la nuque le courba encore.
    Il fut courbé jusqu’à toucher le corps de Gérande morte – morte de peur, – d’où jaillissaient les formidables effluves de la peur.

XVI – LE TRÉSOR DE PASSAVANT
    Huit jours environ après que Tanguy du Chatel et le chevalier de Passavant eurent lié une de ces amitiés de fortune et d’improviste qui sont les meilleures, toujours les plus durables souvent, ces deux hommes, un matin, après dîner, le coude sur la table, les jambes allongées, achevaient de vider à petits coups un troisième cruchon de vin blanc placé entre eux. C’était du Chatel qui avait découvert ces cruchons en passant lui-même l’inspection des

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