Jean sans peur
chevalier, ayant inspecté les environs, ne virent rien qui pût provoquer leurs soupçons.
Le logis de Tanneguy se trouvait rue Saint-Antoine. La route se fit donc rapidement et sans encombre. La mule fut déchargée par du Chatel et Passavant, les sacs transportés à l’intérieur, puis Perrinet s’en retourna, reconduisant l’animal, et se disant perplexe : Il me semble que ces sacs ont rendu un son étrange, comme qui dirait des chocs de pièces d’or. Est-ce que j’aurais manqué ma fortune ?
Il ne vit pas deux hommes qui, enveloppés de leurs manteaux jusqu’au nez, à cause du grand froid sans doute, s’étaient mis en surveillance devant le logis du Chatel. Bientôt l’un de ces deux espions s’éloigna rapidement, tandis que l’autre demeurait sur place.
Le logis du Chatel était une solide maison carrée, flanquée d’une tourelle à son angle d’ouest. Élevée de deux étages, coiffée d’une belle toiture à girouettes, ornée en façade de balcons gothiques, elle avait seigneuriale apparence.
Le sire du Chatel y vivait seul, en garçon qui n’aime guère encombrer son existence de femme et enfants ; bien entendu, nous ne parlons pas du personnel domestique composé de deux valets d’armes, d’une escorte de huit hommes de guerre, deux valets d’intérieur et trois femmes chargées des soins de cuisine et autres. Tout ce monde avait été provisoirement licencié, le capitaine ayant voulu persuader à ses ennemis qu’il était parti pour un long voyage. Le petit castel se trouvait donc vide.
Tanneguy se fit un plaisir de le faire visiter à son ami, depuis les greniers jusqu’à la salle d’honneur ornée de beaux meubles, jusqu’à la salle d’armes où était assemblée une éblouissante collection de haches, de masses, de piques, de hallebardes, enfin et surtout jusqu’aux caves qui étaient fort belles, fort bien pourvues, et où le fameux trésor fut enterré dans le sable du sol.
Cette visite, à laquelle Passavant se prêta avec sa politesse et sa bonne grâce louangeuse, demanda deux bonnes heures. Il va sans dire qu’il fallut goûter à quelques-uns des meilleurs vins de céans. Ensuite de quoi, nos deux amis songèrent à reprendre le chemin de la Truie pendue.
Comme ils allaient ouvrir la porte extérieure, – solide porte renforcée de clous curieusement travaillés et à tête énorme selon la mode – ils entendirent quelque tumulte dans la rue. Et presque aussitôt, une voix cria :
– Écartez-vous, drôles, manants ! Qu’on laisse la rue libre, il va pleuvoir des horions tout à l’heure !
– Oh ! fit Tanneguy, la voix d’Ocquetonville !
– Et celle de Scas ! ajouta le chevalier au moment où une autre voix se mit à brailler des ordres.
Ils se trouvaient dans un large vestibule dallé de marbre, encombré de coffres, de bahuts qui n’avaient pu trouver place dans les appartements. D’un regard, ils se comprirent, et se mirent à l’œuvre : en dix minutes, coffres et bahuts se trouvèrent entassés contre la porte et formèrent une puissante barricade.
– Là ! fit Tanneguy en essuyant son visage couvert de sueur. J’ai enfoncé pour ma part quelques entrées de forteresses, mais je crois que celle-ci m’eût donné du mal.
– Les fenêtres d’en-bas ? demanda Passavant.
– Bardées de fer épais, mon chevalier. Ils n’entreront pas par les fenêtres, je vous en réponds.
– Ah ! fit le chevalier, ce n’est pas comme moi…
Tanneguy demeura un instant effaré. Mais comme il commençait à s’habituer à ces réponses bizarres prononcées d’un ton froid et naïf, il suivit son ami qui montait au premier étage.
Passavant ouvrit une fenêtre et fit entendre un petit sifflement qui en disait long. Tanneguy se précipita, jeta un regard sur la rue et recula en disant : « Diable ! Diable !… »
– Oui, fit Passavant, je crois que ce n’est pas encore ce soir que nous pourrons entrer à l’Hôtel Saint-Pol.
– Ni demain, ajouta Tanneguy.
– Ni après, ni jamais, acheva Passavant. Ah ! mon pauvre capitaine, je crois que, pour moi, vous vous êtes fourvoyé dans un bien méchant guêpier.
– Pas du tout, c’est vous au contraire qui devez me maudire, puisque je vous ai attiré…
– Ne disons pas de sottises, interrompit le chevalier. Voyons, combien sont-ils ? D’après leur nombre, nous pourrons calculer les chances que nous avons de nous en tirer.
– Vous croyez ?…
– Oui.
Weitere Kostenlose Bücher