Joséphine, l'obsession de Napoléon
dépêcha de rentrer à Paris pour sauver son régime et lever de nouvelles troupes.
Un républicain obstiné, le général Claude François de Malet, avait répandu le bruit que Napoléon était mort en Russie et, à l’aide d’ordres de mission falsifiés, avait entraîné des troupes de la garnison de Paris et arrêté le ministre de la Police, Savary. Il avait préparé un gouvernement provisoire dans lequel auraient figuré Moreau, alors exilé en Amérique, Carnot, Augereau… Enfin, il avait été arrêté. Mais l’atmosphère politique à Paris était extrêmement tendue : en Espagne, Wellington avait libéré Madrid, et des nouvelles épouvantables parvenaient de Russie.
Napoléon arriva à Paris, aux Tuileries, le 18 décembre, à 23 heures ; il entra dans le palais par une porte secondaire, hagard et méconnaissable. Il y trouva des gens atterrés par l’annonce, deux jours plus tôt, de la destruction de la Grande Armée dans le 29 e Bulletin de l’Armée.
Paris et l’Europe entière étaient sous le choc.
À minuit, Napoléon envoya un courrier à la Malmaison, qu’il décida soudain de suivre. Ce fut le moment le plus révélateur de l’histoire du premier couple impérial : à l’une de ses heures les plus noires, Napoléon retourna vers celle qui brillait encore dans son coeur et sa tête, l’unique madone de sa dévotion, la détentrice de sa consolation. Il savait qu’elle serait présente.
Il était gros et chauve, elle avait la cinquantaine ; peu importait. En dépit de leurs faiblesses et de leurs trahisons, en dépit des souffrances qu’ils s’étaient infligées l’un à l’autre pendant des années, ils étaient à chacun leur dernier recours.
On ignore ce qu’ils se dirent et firent. Tout au plus peut-on avancer que ce fut à la Malmaison qu’il prit son premier bain chaud depuis la Bérézina, et qu’il ressentit la première caresse sur sa nuque.
Et ce fut là qu’il reçut dans la matinée la dépêche célèbre de Berthier :
— Sire, votre armée n’existe plus.
Les débris de l’armée, dix mille hommes, une soixantaine de canons et neuf chevaux, étaient en route vers la France.
En comédien accompli, Napoléon apparut le lendemain aux Tuileries, en costume de satin et de dentelles. On eût cru que la terrifiante déroute menant à la destruction de la Grande Armée n’avait été qu’un mauvais rêve. Il commanda un bal dans les trois jours.
Ce fut une erreur ; il eût dû décréter un deuil national en l’honneur des soldats tombés dans le froid, la faim et les affres du typhus. Mais il était dans une transe.
La légende d’invincibilité et la fascination qu’il avait exercée depuis Austerlitz tombèrent par pans entiers. Il eût voulu faire sacrer et couronner Marie-Louise ; le pape, qu’il avait fait ramener à Fontainebleau, comme un prisonnier ordinaire, s’y refusa. L’esprit de complot se répandit dans Paris ; chacun voyait l’évidence, les jours de l’Empire étaient comptés.
De la Malmaison, Joséphine le voyait aussi. Dès lors, sa vie ne fut plus qu’une veillée angoissée, qu’aucun soleil ne pourrait dissiper.
Elle suivit les nouvelles, qui arrivaient trop vite. Napoléon n’était pas encore revenu à Paris que la Prusse s’était rebellée : le général Yorck von Wartemburg décréta la neutralité des troupes auxiliaires prussiennes ; la décision, entérinée à la fin de l’année 1812, fut immensément populaire dans un pays décimé par la campagne de Russie. Des milices populaires furent organisées. Deux mois plus tard, les patriotes prussiens obligeaient le roi Frédéric-Guillaume III à déclarer la guerre à la France.
La patrie étant attaquée, Napoléon réussit encore à lever des troupes. Prussiens et Français s’affrontèrent à Lützen et Bautzen, deux victoires laissèrent croire que l’Empereur avait forcé la fortune à lui sourire enfin. Mais les troupes suédoises intervinrent et les Français furent contenus. En juin, l’Angleterre entrait dans la curée tandis que, le même mois, l’Autriche à son tour déclarait la guerre à la France. Les espoirs d’une neutralité maintenue par les liens du sang, longtemps cultivés par Metternich, s’effondrèrent.
— J’ai commis une erreur impardonnable en épousant une archiduchesse autrichienne, déclara Napoléon à Metternich, et je le regrette maintenant.
Et son fils, donc, son fils tant espéré ? Il semblait avoir
Weitere Kostenlose Bücher