Julie et Salaberry
côté mutin dâun charmant minois au nez pointu. Relevée sur le sommet de sa tête en un curieux chignon, la lourde chevelure avait la couleur flamboyante dâun automne canadien, retombant en boucles joyeuses sur lâivoire dâun cou ravissant.
Finalement, elle fit une petite révérence alors que Charles sâinclinait sur la main délicate quâelle lui tendait.
â Cousine Mary, dit-il alors dâune voix où toute trace de colère avait disparu, itâs a real pleasure to meet you 5 .
Elle était diablement jolie. Soudain, il voulait sâasseoir près dâelle sur le sofa et lui poser mille questions. à la manière des mystérieux farfadets que les légendes prêtent à lâIrlande, le sourire de Mary Fortescue lâavait ensorcelé.
Au cours des sept semaines qui suivirent, chaque fois que son régiment lui en laissait lâoccasion, Charles accourait chez les Fortescue. Mary et lui faisaient dâinterminables promenades, la mère les laissant sans chaperon pendant de longues heures. Comme cette dernière avait appris que son neveu jouissait de hautes protections à la cour dâAngleterre, elle laissait grandir leur amour sans aucune contrainte. Charles de Salaberry avait trente ans et les échos parvenus jusquâà elle laissaient entendre quâil était promis à un brillant avenir. Attendrie, elle se plaisait à les contempler dâun Åil bienveillant; ils représentaient pour madame Fortescue â incorrigible romantique â lâimage même de lâamour. Lorsquâelle voyait leurs têtes se toucher, elle revivait sa jeunesse et la passion quâelle avait eue autrefois pour le père de Mary, lâofficier John Fortescue, passion quâils avaient même assouvie avant la bénédiction du mariage. Elle imaginait quâà Beauport, sa sÅur Catherine et son mari, Louis de Salaberry, feraient preuve du même enthousiasme à la perspective dâunir leurs enfants, Charles et Mary.
Câest ainsi quâentre les rires complices, les regards ardents et les baisers fougueux, un projet de mariage se dessina. Malheureusement, lâordre intimé à Salaberry de rentrer en Angleterre obligea les jeunes gens à se séparer.
â Je dois partir, my darling , mais je reviendrai te chercher et nous nous marierons.
â Je te lâai dit, Charles. La vie de régiment ne mâeffraie pas.
Son fiancé avait déjà séjourné aux Antilles et il pouvait être appelé dans dâautres régions de lâEmpire britannique. Mais elle était prête à se rendre au bout du monde.
â Si seulement nous pouvions nous marier avant que tu ne repartes, déplora Mary qui lâaurait volontiers suivi sur-le-champ.
â Et comme jâaimerais répondre à ce souhait, renchérit son prétendant. Il est temps que je me marie. Jâai écrit à mon père qui donnera facilement son consentement, assura Charles. Son plus grand désir est dâavoir des petits-enfants.
â Je me tiendrai prête à partir, chuchota-t-elle à son oreille.
Les amoureux échangèrent un dernier baiser, un ultime regard.
â My love , je tâécrirai dès mon arrivée, promit Charles avant de sâélancer sur le chemin.
Sur le bateau qui ramenait Salaberry en Angleterre, les jours sâécoulaient avec une lenteur exaspérante. Il lui tardait de débarquer pour se rendre à Castle Hill Lodge où lâattendaient madame de Saint-Laurent et le duc de Kent. Ce prince dâAngleterre â lâun des nombreux fils du roi George III â était le protecteur de la famille Salaberry. Il avait favorisé lâentrée des quatre fils de ses amis Louis et Catherine de Salaberry, une noble famille qui vivait à Beauport, au Canada, dans lâarmée britannique. Pour lâofficier Charles de Salaberry, madame de Saint-Laurent et le duc ne pouvaient que se réjouir de son bonheur.
La rapidité avec laquelle cheminait le courrier entre les continents pendant la belle saison avait permis que les confidences contenues dans la lettre de Salaberry à son père parviennent à Beauport au cÅur de lâété. Mais à peine Louis de Salaberry avait-il lu la missive de son fils quâil lâavait déchirée dâun
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