Julie et Salaberry
mouvement rageur, tandis que Catherine tentait dâexhorter son mari à retrouver son calme.
â Notre fils a oublié ce que signifie son nom! criait Louis, hors de lui. Il ne se rappelle plus tous les sacri-fices que moi, son père, jâai fait tout au cours de ma vie pour que le nom des Salaberry demeure noble et respecté de tous!
Les Salaberry appartenaient à une vieille noblesse originaire du Pays basque. Un de leurs lointains ancêtres avait été compagnon et avait combattu aux côtés du grand roi de France, Henri IV, celui-là même qui avait encouragé Champlain à fonder Québec et la Nouvelle-France. Louis de Salaberry était si fier de ses origines quâil avait même fait le voyage en France, quelques années avant la Révolution de 1789, afin de rapporter chez lui ses lettres de noblesse. Il les avait obtenues grâce à lâintervention dâun lointain cousin vivant à Paris, Charles-Victoire de Salaberry, président de la Chambre des comptes. Désormais, avec quatre fils solides, fiers et beaux, la descendance des Salaberry en terre dâAmérique était assurée.
â Salaberry ne peut pas épouser une fille dâaussi petite noblesse. Fort heureusement, il nâest pas trop tard pour écrire en Angleterre, clama Louis en tirant bruyamment une chaise.
Il attrapa une plume bien aiguisée et tira un feuillet de son écritoire.
â Le duc saura remettre cet insensé dans le droit chemin, expliqua-t-il à sa femme.
â Le crime de Charles nâest pas si grand, riposta Catherine. Rien nâest plus normal que dâêtre amoureux lorsquâon est jeune.
â Tu sais parfaitement que Charles nâa pas les moyens de se marier, quâil doit se consacrer avant tout à sa carrière militaire. Ta sÅur... ajouta-t-il dâun ton hargneux. Je vois que lââge nâa rien arrangé; elle est restée aussi inconséquente quâautrefois. Elle aurait dû empêcher nos enfants de se fréquenter, ou, du moins, de les laisser entretenir lâespoir. à cet âge, lâamour est un sentiment qui peut être dangereux.
â Comment peux-tu dire cela! lança Catherine, piquée. Tu as donc oublié à quel point nous avons été amoureux?
Pour toute réponse, Louis trempa sa plume dans lâencrier. Dans lâheure suivante, un messager quitta Beauport pour Québec et, quelques jours plus tard, une lettre adressée au duc de Kent voguait vers lâAngleterre. Elle arriverait promptement à destination, se disait monsieur de Salaberry. Lâété, un délai de trois semaines était considéré comme raisonnable et le prince recevrait sans doute cette missive au mois dâaoût.
Angleterre, Castle Hill Lodge, fin août 1808
â Salaberry, mon vieux! se réjouit un adolescent blond qui promettait dâêtre costaud dans quelques années.
Salaberry venait dâarriver à Castle Hill Lodge, la résidence du duc de Kent et de madame de Saint-Laurent à Ealing, dans le Middlesex.
â Ãdouard! fit Charles en lâétreignant.
Ãdouard était le benjamin des quatre frères Salaberry. Charles étant lâaîné, tous lâappelaient simplement «Salaberry», comme câétait lâusage dans les familles de la noblesse.
â Arrête, Salaberry, tu vas mâétouffer, fit Ãdouard en riant.
Lâentraînement militaire avait permis à son frère de développer sa musculature, la force légendaire des Salaberry sâen trouvant ainsi décuplée.
â Te voilà presque aussi grand que moi! constata Charles. Et cette voix que jâai peine à reconnaître⦠Je vais écrire à notre mère à quel point tu deviens un homme, ajouta-t-il avec une affection non dissimulée.
Dans la famille, Ãdouard jouissait dâun statut particulier: tous lâadoraient.
â Il était temps que tu reviennes, Salaberry. Depuis le départ de Maurice et de François aux Indes orientales, je me sens bien seul, expliqua Ãdouard qui souffrait de lâabsence de ses frères. Oh! Ce qui ne veut pas dire que je me plains de mon sort. Jâétudie sérieusement et, comme je suis leur filleul, le duc et madame de Saint-Laurent ont pour moi toute lâaffection dâun père et dâune mère. Je suis
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