Julie et Salaberry
Fortescue tendit les bras pour serrer son neveu sur son cÅur, puis le repoussa légèrement pour le contempler.
â Je vous aurais reconnu entre tous, tant vous ressemblez à votre mère, dit-elle la voix troublée par des larmes de joie qui coulaient sur ses joues.
Attendri, Salaberry maintenait fermement les mains de sa tante dans les siennes, comme sâil refusait de les rendre à leur propriétaire.
Susanne Hertel de Saint-François, épouse de lâofficier John Fortescue, revoyait un membre de sa famille canadienne pour la première fois depuis quarante ans quâelle vivait en Irlande.
Mais lâémotion était trop vive pour madame Fortescue. Par coquetterie, la dame dissimulait sa corpulence au moyen dâun corset trop serré et le souffle lui manqua. Elle tournoya dans les bras de son neveu retrouvé, perdant connaissance au moment où une gracieuse jeune fille entrait dans la pièce. Salaberry nâeut que le temps de soutenir sa tante pour lâempêcher de glisser sur le sol, et de lâallonger sur un sofa.
â Mother! sâexclama la demoiselle en se précipitant vers sa mère. Whatâs happenned to my mother 1 ? demanda-t-elle en apercevant lâinconnu, sans même chercher à apprendre qui il était.
â Des sels, avez-vous des sels? réclama Charles, anxieux de voir sa tante inanimée.
Mary Fortescue avisa une petite armoire dâoù elle tira un flacon de cristal.
â What have you done to put her in such a state 2 ? sâécria la jeune fille tout en faisant respirer les sels de pâmoison à sa mère afin de la réanimer.
â Je viens à peine dâarriver, sâexcusa le jeune officier, désolé dâêtre la cause de la faiblesse de sa tante.
Heureusement, madame Fortescue revenait de son évanouissement et un faible sourire éclaira son visage en voyant les jeunes gens penchés sur elle.
Une fois rassurée sur le sort de sa mère, la demoiselle releva la tête. Lâinquiétude fit place à la curiosité. Elle dévisagea cet officier qui, dans son affolement, sâétait spontanément exprimé en français et portait lâuniforme vert foncé typique du cinquième bataillon du 60 th Regiment of Foot, le régiment colonial de lâarmée britannique.
â Who are you? Iâve never seen you before 3 .
â Ma chère Mary, dit alors madame Fortescue en français, il ne faut pas en vouloir à ce jeune homme. Mon malaise nâest rien dâautre que le grand bonheur de décou-vrir un aussi beau neveu. Darling , reprit-elle en anglais devant lâair ahuri de sa fille qui sâétonnait dâentendre sa mère parler français, this is your Canadian cousin , Charles de Salaberry.
â Eh bien, cousin Charles, vous avez causé un grand émoi! déclara Mary.
Elle sâexprimait dans un français laborieux.
Charles, à peine revenu de son désarroi, ne répondit pas, mais arborait la mine penaude dâun gamin surpris à chaparder des bonbons. Voyant son trouble, la jeune fille sembla y prendre un certain plaisir, car elle entreprit de le détailler avec une mine espiègle, ce qui surprit lâofficier. Son embarras premier fit place à un début de colère, sentiment quâil contenait avec difficulté. Il venait à peine de faire connaissance avec madame Fortescue et sa fille, quâil souhaitait déjà rabrouer cette jeune personne moqueuse.
â Je peux repartir, si ma présence vous gêne! fit-il soudainement.
â Ah! intervint en riant madame Fortescue. Vous ressemblez physiquement à votre mère, mais je constate que vous avez hérité de la susceptibilité de votre père.
Charles comprit quâil allait se rendre ridicule. Des années de vie militaire nâavaient pas réussi pas à dompter sa nature impétueuse! Il se radoucit et la demoiselle le récompensa dâun sourire angélique.
â Pardonnez-moi. Il est vrai que je mâemporte facilement.
â Mary, my darling , dit alors sa tante, greet your cousin de Salaberry in the manner due to him by our fine society 4 .
Avant de sâexécuter, Mary sâattarda encore à le dévisager, et la découverte dâun pareil sans-gêne chez une jeune fille le renversait. Ses yeux pétillaient malicieusement, accentuant le
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