Kenilworth
arrêter les yeux sur la reine ni se regarder l’un l’autre ; car tous deux en ce moment crurent voir les filets de mensonge qu’ils venaient de tendre prêts à se fermer pour les envelopper. La reine ne fit pourtant pas attention à leur confusion. – Milords, dit-elle à Sussex et à Leicester, nous requérons votre présence au conseil privé que nous allons tenir, et où il s’agira d’affaires importantes. Nous ferons ensuite une promenade sur l’eau, et vous nous y accompagnerez. Et cela nous rappelle une circonstance. Sire chevalier du manteau, dit-elle à Raleigh en souriant, songez que vous devez me suivre dans toutes mes excursions, et faites-vous donner un costume convenable. On vous fournira les moyens de monter votre garde-robe.
Ainsi se termina cette audience mémorable, dans laquelle, ainsi que dans tout le cours de sa vie, Élisabeth réunit les caprices qui sont le plus souvent l’apanage de son sexe, au bon sens et à l’adroite politique par laquelle la fille de Henry VIII égala les plus grands rois.
CHAPITRE XVII.
« Notre route est choisie ; il faut tendre les voiles,
« Lever l’ancre, marcher toujours la sonde en main ;
« Veiller au gouvernail. Il n’est que trop certain
« Que des écueils cachés hérissent ce rivage ;
« Ces rochers dangereux ont vu plus d’un naufrage. »
FALCONER, le Naufrage .
Pendant le court intervalle qui s’écoula entre la fin de l’audience et la séance du conseil privé, Leicester eut le temps de réfléchir qu’il venait de mettre lui-même le sceau à sa destinée. – Il était impossible, pensait-il, qu’après avoir, en face de tout ce que l’Angleterre avait de plus honorable, attesté, quoique en termes ambigus, la vérité de la déclaration de Varney, il se permît de le contredire ou de le désavouer, sans s’exposer non seulement à perdre la faveur dont il jouissait à la cour, mais à encourir le ressentiment personnel de la reine, qui ne lui pardonnerait pas de l’avoir trompée, et sans devenir l’objet du mépris et de la dérision de son rival et de tous ses partisans. La certitude de tous ces dangers frappa en même temps son esprit, tandis qu’il était d’une autre part effrayé de la difficulté de garder un secret qui ne pouvait plus se divulguer sans renverser son pouvoir et sans nuire à son honneur. Il était dans la situation de cet homme qui, exposé sur une glace prête à se briser autour de lui, n’a d’autre moyen de salut que de marcher en avant d’un pas ferme. Il lui fallait s’assurer, à tout risque, la faveur de la reine, pour laquelle il avait fait tant de sacrifices ; c’était son unique planche de salut dans la tempête. Tous ses efforts devaient tendre non seulement à se maintenir dans les bonnes grâces d’Élisabeth, mais encore à augmenter la partialité que lui témoignait cette princesse. Il fallait qu’il fût son favori, ou qu’il souscrivît à la ruine de sa fortune et de son honneur. Toute autre considération devait être écartée pour le moment, et il chercha à bannir de son souvenir l’image importune d’Amy, en se disant qu’il aurait tout le temps d’aviser aux moyens de sortir du labyrinthe dans lequel il s’était engagé. Le pilote qui voit Scylla menacer sa proue, disait-il, ne songe qu’à l’éviter, sans penser au danger plus éloigné de Charybde.
Ce fut dans cette disposition d’esprit que Leicester alla prendre sa place accoutumée au conseil privé d’Élisabeth, et qu’il l’accompagna ensuite pendant sa promenade sur la Tamise ; jamais il n’avait déployé plus avantageusement ses talens, soit comme politique du premier ordre, soit comme courtisan accompli.
Il arriva qu’il fût question, dans le conseil, des affaires de l’infortunée Marie, reine d’Écosse, qui était alors dans la septième année de sa captivité en Angleterre. Sussex et quelques autres parlèrent avec force en faveur de cette malheureuse princesse ; ils firent valoir la loi des nations et les droits de l’hospitalité avec une chaleur qui, quoique respectueuse et modérée, n’était pas tout-à-fait agréable aux oreilles de la reine. Leicester embrassa l’opinion contraire avec chaleur ; il prétendit que la détention prolongée de la reine d’Écosse était une mesure nécessaire à la sûreté du royaume, et notamment à la personne sacrée d’Élisabeth. – Le moindre cheveu de la tête de notre souveraine, dit-il, doit
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