Kenilworth
d’Écosse. Je vais partir sur-le-champ. Votre Honneur veut-il bien donner ordre qu’on selle mon cheval ? Je vais remettre à milord de l’orviétan divisé en doses convenables, lui donner quelques avis ; après quoi sa sûreté dépendra des soins de ses amis et de ses domestiques. Il n’a plus rien à craindre du passé ; mais qu’il prenne garde à l’avenir !
En quittant Tressilian, Wayland alla faire sa dernière visite au comte de Sussex, lui donna des instructions sur le régime qu’il devait suivre et sur les précautions qu’il devait prendre, et partit de Say’s-Court sans attendre le lendemain matin.
CHAPITRE XVIII.
« Le moment est venu.
« Prends la plume à l’instant, et, d’une main hardie,
« Trace le grand total des comptes de ta vie.
« Les constellations qui protègent tes jours
« Ont enfin triomphé, triompheront toujours.
« Dans leur conjonction les astres favorables
« Vont répandre sur toi des faveurs innombrables ;
« C’est leur voix qui te dit : Le moment est venu. »
Wallenstein de SCHILLER, traduit par Coleridge.
Quand Leicester eut regagné sa demeure, après une journée si importante et à la fois si pénible, dans laquelle sa barque, après avoir lutté contre plus d’un vent contraire et touché sur plus d’un écueil, était néanmoins entrée dans le port, pavillon déployé, il parut éprouver autant de fatigue qu’un matelot après une tempête dangereuse. Il ne proféra pas une parole pendant que son chambellan remplaçait son riche manteau de cour par une robe de chambre garnie de fourrures ; et quand cet officier lui annonça que Varney demandait à parler à Sa Seigneurie, il ne lui répondit qu’en secouant la tête d’un air de mauvaise humeur. Varney entra cependant, prenant ce signe pour une permission tacite, et le chambellan se retira.
Le comte demeura sur son siège en silence et sans faire aucun mouvement, la tête appuyée sur sa main et le coude fixé sur la table qu’il avait à côté de lui, sans paraître s’apercevoir de la présence de son confident. Varney attendit quelques instans qu’il commençât la conversation. Il voulait savoir dans quelle disposition d’esprit se trouvait un homme qui, dans le même jour, avait éprouvé coup sur coup tant de vives émotions. Mais il attendit en vain ; Leicester continua de garder le silence, et le confident se vit obligé de parler le premier.
– Puis-je féliciter Votre Seigneurie, dit-il, du juste triomphe que vous avez obtenu aujourd’hui sur votre plus redoutable rival ?
Leicester leva la tête, et répondit tristement, mais sans colère : – Toi, Varney, dont l’esprit intrigant m’a enveloppé dans ce dangereux tissu de lâches mensonges, tu sais mieux que moi quelles raisons je dois avoir de me féliciter.
– Me blâmez-vous, milord, dit Varney, de ne point avoir trahi, à la première difficulté, le secret dont dépend votre fortune, et que vous avez tant de fois et avec tant d’instances recommandé à ma discrétion ? Votre Seigneurie était présente, vous pouviez me contredire et vous perdre en avouant la vérité. Mais certes il ne convenait pas à un fidèle serviteur de la déclarer sans vos ordres.
– Je ne puis le nier, Varney, dit le comte, qui se leva et traversa la chambre à grands pas ; c’est mon ambition qui a trahi mon amour.
– Dites plutôt, milord, que votre amour a trahi votre élévation, et vous a ravi une perspective de puissance et d’honneur telle que le monde n’en peut offrir à nul autre que vous. Pour avoir fait comtesse mon honorable maîtresse, vous avez perdu la chance d’être vous-même…
Il s’arrêta, et il semblait répugner à finir sa phrase.
– D’être moi-même quoi ? demanda Leicester. Parle clairement, Varney.
– D’être vous-même un ROI, répliqua Varney, et roi d’Angleterre, qui plus est. Ce n’est point trahir la reine que de parler ainsi. Cela serait arrivé si elle eût voulu, comme tous ses fidèles sujets le désirent, se choisir un époux noble, brave et bien fait.
– Tu es fou, Varney, répondit Leicester : d’ailleurs, n’en avons-nous pas vu assez dans notre temps pour faire détester aux hommes la couronne qu’ils reçoivent de leur femme ? On a vu Darnley en Écosse.
– Lui ! dit Varney, un sot, un imbécile, un âne trois fois bâté, qui se laissa paisiblement lancer en l’air comme une fusée tirée un jour de fête. Si Marie
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