Kenilworth
avait eu le bonheur d’épouser le noble comte jadis destiné à partager son trône, elle aurait eu affaire à un mari d’une autre trempe, et il eût trouvé en elle une femme aussi docile et aussi affectionnée que la tendre moitié du moindre hobereau qui suit à cheval la meute de son mari et lui tient la bride pendant qu’il met le pied à l’étrier.
– Varney ! ce que tu dis aurait pu fort bien être, répliqua Leicester, et un léger sourire d’amour-propre satisfait éclaircit son air soucieux. Henry Darnley connaissait peu les femmes. Avec Marie, un homme qui eût eu quelque connaissance de ce sexe aurait pu facilement maintenir le rang du sien. Il n’en est pas de même d’Élisabeth, Varney : je pense que Dieu, en lui donnant un cœur de femme, lui a donné une tête d’homme pour en réprimer les folies. Non, je la connais ; elle acceptera des gages d’amour, et en donnera elle-même : elle met des sonnets mielleux dans son sein, bien plus, elle y répond, et pousse la galanterie jusqu’au terme où elle va devenir un échange de tendresse ; mais elle met nil ultrà à tout ce qui doit suivre, et ne troquerait pas le moindre iota de son pouvoir suprême pour tout l’alphabet de l’amour et de l’hymen.
– Tant, mieux pour vous, milord, dit Varney ; tant mieux pour vous, c’est-à-dire dans la supposition que vous venez de la dépeindre telle qu’elle est, puisque vous pensez ne pouvoir plus aspirer à devenir son époux. Vous êtes son favori, et vous pouvez l’être tant que la dame de Cumnor-Place restera dans l’obscurité qui la dérobe à tous les yeux.
– Pauvre Amy ! dit Leicester avec un profond soupir, elle désire si ardemment être reconnue devant Dieu et devant les hommes !
– Oui, milord ; mais son désir est-il raisonnable ? Voilà la question. Ses scrupules religieux sont satisfaits. Elle est épouse légitime, honorée, chérie ; elle jouit de la société de son mari toutes les fois qu’il peut se dérober à ses devoirs indispensables : que peut-elle désirer de plus ? Je suis parfaitement convaincu qu’une dame si douce et si aimante consentirait à passer toute sa vie dans l’obscurité où elle languit maintenant (obscurité qui, après tout, n’est pas plus triste que celle où elle vivait dans le château de Lidcote), plutôt que de porter la moindre atteinte aux honneurs et à la grandeur de son époux, en voulant les partager prématurément.
– Il y a quelque raison dans ce que tu dis, Varney, et tout serait perdu si elle paraissait ici. Cependant, il faut qu’on la voie à Kenilworth ; Élisabeth n’oubliera pas les ordres qu’elle a donnés à ce sujet.
– Permettez-moi de dormir sur cette difficulté, milord : je ne puis sans cela mettre la dernière main à un projet dont je m’occupe maintenant. Ce projet, j’espère, satisfera la reine, plaira à ma maîtresse, et laissera cependant ce fatal secret enseveli où il est maintenant. Votre Seigneurie a-t-elle d’autres ordres à me donner ce soir ?
– Je désire être seul, répondit Leicester ; laissez-moi. Mettez sur ma table ma cassette d’acier, et restez à portée de m’entendre si j’appelle.
Varney se retira, et le comte, ouvrant la fenêtre de son appartement, passa assez long-temps à regarder fixement la brillante armée des étoiles qui ornaient une des plus belles nuits de l’été, et il laissa échapper ces mots presque à son insu :
– Jamais je n’eus un plus grand besoin de l’assistance des constellations du ciel, car mon chemin sur la terre est obscur et embarrassé.
On sait que ce siècle avait une grande confiance dans les vaines prédictions de l’astrologie judiciaire ; et Leicester, quoique généralement exempt de toute autre superstition, n’était pas, sous ce rapport, supérieur à son siècle ; au contraire, on remarquait les encouragemens donnés par lui aux professeurs de cette prétendue science. En effet, le désir de connaître l’avenir, désir si général chez les hommes de tous les pays, se trouve surtout dans toute sa force parmi ceux qui s’occupent des mystères d’État, et qui passent leur vie au milieu des intrigues et des cabales des cours.
Après avoir bien examiné si sa cassette d’acier n’avait point été ouverte, ou si personne n’avait essayé d’en forcer la serrure, Leicester y introduisit la clef. Il en tira d’abord une certaine quantité de pièces d’or qu’il mit dans une
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