Kenilworth
Leicester ne doit pas s’y trouver déplacée.
– Je prie Dieu que vous soyez bien accueillie, dit Jeannette.
– Vous abusez de ma situation, Jeannette, dit la comtesse avec un mouvement d’impatience, et vous perdez la vôtre de vue.
– Hélas ! répondit tristement la jeune fille, avez-vous oublié que le noble comte n’a donné des ordres si sévères de tenir votre mariage caché qu’afin de conserver sa faveur à la cour ? Pouvez-vous croire que votre subite apparition dans son château, en de telles circonstances et devant de tels témoins, lui sera agréable ?
– Vous pensez que je ne lui ferais pas honneur, dit la comtesse : ne retenez pas mon bras ; je puis marcher sans votre secours et agir sans vos conseils.
– Ne vous fâchez pas contre moi, dit Jeannette avec douceur, et permettez-moi de vous soutenir encore ; le chemin est rude, et vous n’avez guère l’habitude de marcher dans l’obscurité.
– Si vous ne croyez pas que je doive faire honte à mon mari, reprit la comtesse toujours avec le même ton d’humeur, vous supposez donc le comte de Leicester capable de favoriser et peut-être d’avoir ordonné les horribles attentats de votre père et de Varney, dont je parlerai au noble comte ?
– Pour l’amour de Dieu, madame, épargnez mon père dans votre rapport, dit Jeannette ; que mes services, quelque faibles qu’ils soient, servent d’expiation à ses erreurs.
– Je commettrais la plus grande injustice si j’agissais autrement, ma chère Jeannette, dit la comtesse, qui reprit tout d’un coup sa douceur et sa confiance pour sa fidèle suivante. Oui, Jeannette, jamais je ne dirai un mot qui puisse nuire à ton père ; mais tu es témoin, mon enfant, que je n’ai d’autre désir que de m’abandonner à la protection de mon époux. La scélératesse des personnes qui m’entouraient m’a forcée de fuir la demeure qu’il m’avait choisie ; mais je ne désobéirai à ses ordres que sur ce seul point. Je ne veux en appeler qu’à lui. Je ne veux être protégée que par lui. Je n’ai jamais fait connaître à qui que ce soit, et ne le ferai jamais sans sa volonté, les nœuds secrets qui unissent nos cœurs et nos destinées. Je veux le voir, et recevoir de sa propre bouche ses instructions pour ma conduite future. Ne cherche point à combattre ma résolution, Jeannette ; tu ne ferais que m’y confirmer. À te parler vrai, je suis décidée à connaître mon sort, sans plus de retard, des lèvres mêmes de mon époux ; je veux l’aller chercher à Kenilworth : c’est le moyen le plus sûr d’accomplir mon dessein.
Jeannette, en pesant dans son esprit les difficultés et l’incertitude inséparables de la position de sa malheureuse maîtresse, penchait presque vers l’opinion opposée à celle qu’elle venait de manifester. Elle commençait à penser que, tout bien considéré, le premier devoir de la comtesse, en abandonnant la demeure où son époux l’avait placée, était de l’aller trouver pour lui expliquer les raisons de sa conduite.
Elle connaissait toute l’importance que le comte attachait à ce que son mariage fût tenu secret ; et elle ne pouvait se dissimuler qu’en faisant sans sa permission une demande qui pouvait le rendre public, la comtesse s’exposerait à toute son indignation. Si elle rentrait dans la maison de son père sans l’aveu formel de son rang, une situation semblable ne pouvait qu’avoir les plus fâcheux effets pour sa réputation ; et cet aveu, si elle le faisait, pouvait occasionner entre elle et Leicester une rupture complète. En outre, à Kenilworth, elle pourrait plaider sa cause auprès de son époux : et, quoique Jeannette n’eût pas en lui la même confiance que la comtesse, elle le croyait incapable d’avoir aucune part aux projets criminels de ses créatures, êtres corrompus auxquels tous les moyens seraient bons pour étouffer les justes plaintes de leur victime. Mais en mettant les choses au pire, et en supposant que le comte lui refusât justice et protection, cependant à Kenilworth, si elle voulait rendre publique l’injustice qu’on lui faisait, elle aurait toujours Tressilian pour avocat, et la reine pour juge ; car Jeannette avait appris tout cela dans sa courte conférence avec Wayland. C’est pourquoi elle approuva que sa maîtresse se rendît à Kenilworth, et lui recommanda cependant la plus grande prudence pour faire savoir son arrivée à son époux.
– As-tu
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