Kenilworth
voix basse des fragmens de chansons ; tantôt il assurait la dame qu’il n’y avait aucun danger, et en même temps il regardait de tous côtés pour découvrir s’il n’y avait rien en vue qui put donner un démenti à ses paroles au moment même qu’il les prononçait. Ils continuèrent à cheminer de cette sorte, jusqu’à ce qu’un accident inattendu vint leur offrir les moyens de continuer leur route d’une manière plus commode et plus expéditive.
CHAPITRE XXIV.
RICHARD. « Un cheval ! un cheval ! mon royaume pour un cheval !
CATESBY. « Milord, je vais vous donner un cheval. »
SHAKSPEARE, Richard III .
Nos voyageurs passaient le long d’une touffe d’arbres sur le bord de la route, lorsque la première créature vivante qu’ils eussent rencontrée depuis leur départ de Cumnor-Place s’offrit à leurs regards. C’était un petit paysan au regard stupide, qui avait l’air d’être un garçon de ferme. Il était nu-tête, vêtu d’une jaquette grise ; ses bas tombaient sur ses talons, et il avait aux pieds d’énormes souliers. Il tenait par la bride ce dont, par-dessus toutes choses, nos voyageurs avaient le plus besoin, c’est-à-dire un cheval, avec une selle de femme et tout l’équipement assorti. Le paysan accosta Wayland avec ces mots : – Monsieur, c’est vous qui êtes le couple, à coup sûr ?
– Certainement nous le sommes, mon garçon, répondit Wayland sans hésiter un instant. Il faut avouer que des consciences formées à une école de morale plus sévère que la sienne auraient pu céder à une occasion si tentante. En parlant ainsi, Wayland prit la bride des mains du paysan, et presqu’au même moment il aida la comtesse à descendre de son cheval, et à monter sur celui que le hasard lui offrait. Enfin, tout se passa si naturellement que la comtesse, comme on le sut depuis, ne douta en aucune manière que ce cheval n’eût été ainsi placé sur son chemin par la précaution de son guide ou d’un de ses amis. Cependant le jeune homme, qui se voyait si lestement débarrassé de son dépôt, commença à rouler de grands yeux et à se gratter la tête, comme s’il eût senti quelques remords d’abandonner le cheval sur une explication aussi succincte.
– Je suis parfaitement sûr que voilà le couple, murmura-t-il entre ses dents ; mais tu aurais dû dire Fève , comme tu sais.
– Oui, oui, dit Wayland au hasard ; et toi, Lard, n’est-ce pas ?
– Non, non ; attendez : c’est Pois, que j’aurais dû dire.
– Eh bien ! dit Wayland, que ce soit Pois, si tu le veux, quoique le lard eût été un meilleur mot d’ordre.
Alors, se trouvant monté sur son propre cheval, il retira la bride des mains du jeune rustre, qui hésitait encore à le lui livrer, et lui jetant une pièce d’argent, il chercha à réparer le temps perdu en partant au grand trot, sans autres pourparlers. Le jeune garçon restait au bas de la colline que nos voyageurs montaient, et Wayland, se retournant, l’aperçut les doigts dans ses cheveux, immobile comme un poteau, et la tête tournée dans la direction qu’ils avaient prise en le quittant. Enfin, au moment où ils atteignirent le sommet de la colline, ils le virent se baisser pour ramasser le groat d’argent que sa générosité lui avait laissé.
– Ma foi, dit Wayland, voilà ce que j’appelle un don du ciel ; c’est une bonne petite bête qui va fort bien, et qui vous portera jusqu’à ce que je puisse vous en procurer une autre aussi bonne. Alors nous la renverrons pour satisfaire la clameur de haro {106} .
Mais il se trompait dans sa confiance, et le destin, qui leur semblait d’abord si favorable, leur donna bientôt lieu de craindre que l’incident dont Wayland se glorifiait ainsi ne devînt la cause de leur ruine complète.
Ils n’avaient pas encore fait un mille depuis la rencontre du jeune garçon, lorsqu’ils entendirent derrière eux un homme qui criait à tue-tête : – Au voleur ! arrête ! au voleur ! et d’autres exclamations de même nature. La conscience de Wayland lui fit aisément soupçonner que ceci devait être une suite de l’acquisition facile qu’il venait de faire.
– Il eût mieux valu pour moi aller nu-pieds toute ma vie, pensa-t-il. On pousse contre nous clameur de haro, et je suis un homme perdu. Ah ! Wayland ! Wayland ! plus d’une fois ton père t’a prédit que les chevaux te conduiraient quelque jour à la potence. Que je me retrouve
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