Kenilworth
toi-même pris toutes tes précautions, Jeannette ? dit la comtesse ; ce guide auquel je vais me confier, ne lui as-tu pas découvert le secret de mon état ?
– Il n’a rien appris de moi, dit Jeannette, et je ne crois pas qu’il en sache plus que ce qu’on pense généralement de votre position.
– Qu’en pense-t-on ? demanda Amy.
– Que vous avez quitté la maison de votre père ;… mais vous vous fâcherez de nouveau contre moi, si je continue, dit Jeannette en s’interrompant.
– Non, continue, dit la comtesse ; il faut que j’apprenne à supporter les bruits fâcheux auxquels mon imprudence a donné lieu. On pense, je suppose, que j’ai quitté la maison de mon père pour me lier à un amant par des nœuds illégitimes. C’est une erreur qui cessera bientôt ; oui, on sera bientôt détrompé ; car je suis déterminée à vivre avec une réputation sans tache, ou à ne pas vivre plus long-temps. On me regarde donc comme la maîtresse de Leicester ?
– La plupart vous croient celle de Varney, dit Jeannette ; cependant il y en a qui pensent qu’il n’est que le manteau dont le comte se sert pour cacher ses plaisirs. Il a transpiré quelque chose des grandes dépenses qu’on a faites pour meubler ce château, et une telle profusion surpasse de beaucoup la fortune de Varney ; mais cette dernière opinion n’est pas générale : lorsqu’il est question d’un personnage si élevé, on n’ose pas même donner à entendre les soupçons que l’on conçoit, de peur d’être puni par la chambre étoilée {104} , pour avoir calomnié la noblesse.
– Ils font bien de parler bas, dit la comtesse, ceux qui peuvent croire l’illustre Dudley complice d’un misérable tel que Varney… Nous sommes arrivées à la porte du parc. Hélas ! ma chère Jeannette, il faut que je te dise adieu ! Ne pleure pas, ma pauvre fille, dit-elle, cherchant à cacher sous une apparence de gaieté sa propre répugnance à se séparer de sa fidèle suivante. Et quand nous nous reverrons, fais que je trouve, Jeannette, au lieu de cette fraise précisienne que tu portes maintenant, une dentelle brodée qui laisse voir ton joli cou. Change-moi ce corsage d’étoffe grossière, qui ne peut convenir qu’à une femme de chambre, pour une autre du plus beau velours et de drap d’or. Tu trouveras dans ma chambre quantité d’étoffes, et je t’en fais présent de bon cœur. Il faut que tu te pares, Jeannette ; car bien que tu sois maintenant la suivante d’une dame malheureuse et errante, sans nom et sans renommée, quand nous nous reverrons il faudra que tes vêtemens puissent convenir à celle qui tiendra la première place dans l’amitié et dans la maison de la première comtesse d’Angleterre.
– Puisse Dieu vous exaucer, ma chère maîtresse, et permettre, non que je porte des habits plus riches, mais que nous puissions toutes deux porter nos corsages sur des cœurs plus contens.
Pendant cet entretien, la serrure de la porte dérobée avait cédé enfin, après quelques efforts d’abord infructueux, à la clef de Jeannette, et la comtesse se trouva, non sans un frémissement secret, au-delà des murs que son époux lui avait désignés comme le terme de ses promenades. Wayland attendait dans la plus grande inquiétude, caché à quelque distance derrière une haie sur les bords de la route.
– Avez-vous tout préparé ? lui demanda Jeannette avec émotion, lorsqu’il s’approcha d’elles.
– Tout, répondit-il ; mais je n’ai pu trouver un cheval pour la dame. Giles Gosling, en lâche coquin, m’en a refusé un, quelque prix que je lui en aie offert, de peur, a-t-il dit, qu’il ne lui en arrivât malheur. Mais n’importe ; elle montera sur mon cheval, et je l’accompagnerai à pied jusqu’à ce que je puisse m’en procurer un autre. On ne pourra nous poursuivre si vous n’oubliez pas votre leçon, charmante mistress Jeannette.
– Pas plus que la sage veuve de Tékoa n’oublia les paroles que Joab mit dans sa bouche, répondit Jeannette : demain je dirai que ma maîtresse ne peut se lever.
– Oui ; et qu’elle souffre ; qu’elle se sent la tête pesante, des palpitations de cœur, et qu’elle ne veut pas être dérangée. Ne crains rien : ils comprendront à demi-mot, et ne te feront pas beaucoup de questions : ils connaissent la maladie.
– Mais, dit la comtesse, ils découvriront promptement mon absence, et tueront Jeannette pour se venger.
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