Kenilworth
il faut que les vœux s’accomplissent ; tu trouveras ton cheval à Donnington, à l’auberge de l’ Ange ; c’est tout, ce que je puis faire pour toi, en conscience.
– Le diable soit de ta conscience ! dit le mercier désolé ; voudrais-tu qu’une fiancée se rendît à l’église à pied ?
– Tu peux la mettre en croupe derrière toi, messire Goldthred, répondit Wayland ; cela calmera un peu l’ardeur de ton coursier.
– Oui : et si vous oubliez de laisser mon cheval, comme vous en avez l’intention ? demanda Goldthred non sans beaucoup hésiter, car le courage commençait à lui manquer.
– Ma balle restera en gage pour ton cheval : elle est chez Giles Gosling, dans la chambre tendue de cuir damasquiné ; elle est pleine de velours à un, à deux et à trois poils, de taffetas, de damas, de pluche, de gros de Naples, de brocart…
– Arrête ! arrête ! s’écria le mercier ; je veux être pendu s’il y a la moitié de ce que tu dis. Mais si jamais je confie le pauvre Bayard à d’autres rustauds…
– Comme vous voudrez, bon M. Goldthred, et là-dessus je vous souhaite bien le bonjour. Bon voyage, ajouta-t-il en continuant sa route avec la comtesse, pendant que le mercier, décontenancé, s’en allait beaucoup plus lentement qu’il n’était venu, cherchant les excuses qu’il pourrait faire à sa triste fiancée, qui attendait son valeureux écuyer au milieu de la route.
– Il me semble, dit la comtesse, que l’original que nous quittons me regardait comme s’il se souvenait de m’avoir vue, et cependant je me cachais le visage autant qu’il m’était possible.
– Si je pouvais le penser, dit Wayland, je retournerais pour lui briser le crâne, et je n’aurais pas peur d’endommager sa cervelle ; car tout ce qu’il en a ne ferait pas une bouchée pour un oison qui vient de naître. Néanmoins il vaut mieux, continuer notre route ; à Donnington nous laisserons le cheval de cet imbécile, afin de lui ôter toute envie de nous poursuivre, et nous changerons nos costumes, de manière à éluder ses recherches, s’il les continuait.
Les voyageurs arrivèrent à Donnington sans autre alarme. Il était nécessaire que la comtesse y goûtât quelques heures de repos. Pendant cet intervalle, Wayland s’occupa avec autant de promptitude que d’adresse à prendre les mesures qui pouvaient assurer le succès de leur voyage.
Après avoir changé son manteau de colporteur contre une espèce de fourreau, il mena le cheval de Goldthred à l’auberge de l’ Ange , qui était à l’extrémité du village opposée à celle où nos voyageurs s’étaient établis. Dans la matinée, en faisant ses autres affaires, il vit le cheval ramené par le mercier lui-même, qui, à la tête d’un vaillant détachement des gens de la clameur de haro, était venu reconquérir son bien par la force des armes. Il lui fut restitué sans autre rançon qu’une bonne quantité d’ale, bue par ses auxiliaires, que leur marche avait probablement altérés, et sur le prix de laquelle maître Goldthred soutint une dispute très vive contre l’Headborough, qu’il avait appelé à son aide pour soulever le pays contre les voleurs.
Ayant fait cette restitution, aussi juste que prudente, Wayland se procura pour sa compagne et pour lui-même deux habillemens complets, qui leur donnaient un air de campagnards aisés. Il fut résolu en outre qu’afin de laisser moins de prise à la curiosité, la comtesse passerait sur la route pour la sœur de son guide.
Un bon cheval non fougueux, mais qui pouvait facilement suivre le sien, et dont l’allure était assez douce pour pouvoir convenir à une dame, compléta les préparatifs de voyage. Wayland le paya des fonds que Tressilian lui avait confiés pour cet emploi. Ainsi, environ vers midi, la comtesse se trouvant remise par quelques heures d’un profond repos, ils poursuivirent leur route avec le dessein de se rendre à Kenilworth le plus promptement possible, par Coventry et Warwick ; mais ils n’étaient pas destinés à aller bien loin sans rencontrer de nouveaux sujets d’alarmes.
Il est nécessaire d’apprendre ici au lecteur que le maître de l’auberge avait informé nos fugitifs qu’une troupe joyeuse, qui devait, à ce qu’il croyait, figurer dans quelques uns de ces masques ou scènes allégoriques qui faisaient partie des amusemens qu’on offrait ordinairement à la reine dans les voyages de la cour, avait quitté
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