Kenilworth
cette merveille, très illustre fils de l’enfer : mais voici de quoi boire à l’heureux événement ; et, comme dit la comédie, Dieu bénisse vos travaux.
En parlant ainsi, il piqua des deux et continua sa route.
Lambourne s’arrêta un moment après son maître, pour fouiller dans sa bourse ; il en tira une pièce d’argent qu’il donna au diablotin communicatif. C’était, disait-il, pour l’encourager à poursuivre sa route vers le feu des infernales régions, dont il pouvait distinguer quelques étincelles qui s’échappaient déjà de ses yeux. Après avoir reçu les remerciemens du jeune garçon, il fit sentir l’éperon à son cheval, et courut après son maître aussi vite que l’étincelle jaillit du caillou frappé par l’acier.
– Et maintenant, dit le rusé diablotin en s’approchant du cheval de Wayland, et en faisant en l’air une gambade qui justifiait ses prétentions à la parenté du prince de cet élément, je leur ai dit qui vous êtes, dites-moi à votre tour qui je suis.
– Ou Flibbertigibbet ou un véritable enfant du diable, répondit Wayland.
– Tu l’as dit, reprit Dick Sludge : tu vois ton Flibbertigibbet. Je me suis délivré de mes liens avec mon savant précepteur, comme je te disais que je le ferais, qu’il le voulût ou non. Mais quelle dame as-tu là avec toi ? J’ai vu que tu étais dans l’embarras dès la première question, c’est pourquoi je suis venu à ton secours ; mais il faut que je sache ce qu’elle est, mon cher Wayland.
– Tu sauras cinquante autres choses plus belles encore, mon cher compagnon, dit Wayland ; mais trêve de questions pour le moment, et puisque vous allez à Kenilworth, je vous y accompagnerai pour l’amour de ton aimable figure et de ta société spirituelle.
– Tu aurais dû dire ma figure spirituelle et mon aimable société, reprit Dick ; mais comment voyageras-tu avec nous ? je veux dire en quelle qualité ?
– Sous la qualité que tu m’as toi-même choisie, sans doute, comme escamoteur. Tu sais que je connais le métier, dit Wayland.
– Oui, mais la dame ? repartit Flibbertigibbet, car je dois te dire que je devine que c’en est une ; et tu es dans l’embarras à cause d’elle, comme je le vois par ton impatience.
– Elle , dit Wayland, ce n’est pas autre chose qu’une pauvre sœur à moi ; elle chante et joue du luth d’une manière qui ferait sortir les poissons de l’eau.
– Fais-la-moi entendre sur-le-champ, dit le jeune garçon. J’aime beaucoup le luth ; rien ne me plaît tant au monde, quoique je ne l’aie jamais entendu.
– Comment peux-tu l’aimer alors, Flibbertigibbet ? dit Wayland.
– Comme les chevaliers aiment leurs dames dans les vieux romans, par ouï-dire .
– Eh bien ! aime-le par ouï-dire un peu plus longtemps, jusqu’à ce que ma sœur soit remise des fatigues de son voyage, dit Wayland en ajoutant entre ses dents : – Au diable la curiosité de ce petit nain ! Mais il ne faut pas que je me brouille avec lui, ou nous nous en trouverons mal.
Après cette conversation, il alla offrir à maître Holyday ses propres talens comme jongleur, et ceux de sa sœur comme musicienne. On lui demanda quelques preuves de son habileté ; il ne se fit pas prier, et en donna de si convaincantes que les acteurs, chargés d’agréger dans leur société un homme de cette habileté, se contentèrent des excuses qu’il offrit pour sa sœur, qu’on voulait mettre aussi à l’épreuve.
Les nouveau-venus furent invités à prendre part aux rafraîchissemens dont la compagnie était pourvue, et ce ne fut pas sans difficulté que Wayland trouva l’occasion de parler en particulier, pendant le repas, à sa sœur supposée : il en profita pour la conjurer d’oublier pour le moment et ses chagrins et son rang, et de condescendre à faire société avec ceux qui devaient être ses compagnons de voyage, puisque c’était le moyen le plus sûr de ne pas être découvert.
La comtesse sentit toute l’urgence du cas ; et, lorsqu’on se mit en route, elle chercha à suivre les conseils de son guide, et, s’adressant à une comédienne qui était près d’elle, elle témoigna beaucoup d’intérêt pour la femme qu’on était ainsi obligé d’abandonner.
– Oh ! elle est bien soignée, madame, répliqua la comédienne, qui, par son humeur enjouée, aurait pu être l’emblème parfait de la femme de Bath {109} . Ma commère Laneham traite tout cela
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