Kenilworth
construisant l’aile qui porte encore le nom de bâtiment de Lancastre ; mais Leicester avait surpassé ses prédécesseurs, tout riches et puissans qu’ils étaient, en érigeant une immense façade, qui a disparu sous ses propres ruines, monument de l’ambition de son fondateur. Les murs extérieurs de cette résidence vraiment royale étaient baignés par un lac, en partie artificiel, sur lequel Leicester avait fait construire un pont magnifique, afin qu’Élisabeth pût entrer au château par un chemin pratiqué pour elle seule. L’entrée ordinaire était du côté du nord, où il avait élevé, pour la défense du château, une haute tour qui existe encore, et qui surpasse, par son étendue et le style de son architecture, le château de plus d’un chef du nord.
De l’autre côté du lac il y avait un parc immense, peuplé de daims, de chevreuils, de cerfs et de toutes sortes de gibier. Ce bois était planté d’arbres superbes, du milieu desquels la façade du château et ses tours massives semblaient sortir majestueusement. Nous ne pouvons nous empêcher d’ajouter ici que ce noble palais, qui reçut des rois dans son enceinte, et que les guerriers illustrèrent tour à tour par de véritables et sanglans assauts, et par des joutes chevaleresques où la beauté distribuait les prix obtenus par la valeur, n’offre plus aujourd’hui qu’une scène de ruines. Son lac est devenu une prairie humide où croît le jonc, et ses ruines immenses ne servent qu’à donner une idée de son ancienne splendeur, et à faire mieux apprécier au voyageur qui réfléchit la vanité des richesses de l’homme, et le bonheur de ceux qui jouissent de la médiocrité avec un vertueux contentement.
Ce fut avec des sentimens bien différens que la malheureuse comtesse de Leicester considéra ces tours nobles et antiques lorsqu’elle les vit pour la première fois s’élever au-dessus des bois touffus sur lesquels elles semblaient dominer. L’épouse légitime du favori d’Élisabeth, de l’homme de prédilection de l’Angleterre, s’approchait de la demeure de son époux, et se préparait à paraître en présence de sa souveraine, protégée plutôt que guidée par un pauvre jongleur ; et quoique maîtresse de ce château orgueilleux, dont les portes pesantes auraient dû tourner d’elles-mêmes sur leurs gonds à son moindre signal, elle ne pouvait se dissimuler les obstacles et les dangers qui s’opposaient à sa réception dans des murs où elle avait droit de commander.
En effet, les difficultés semblaient s’accroître à chaque instant ; et bientôt nos voyageurs eurent à craindre qu’il ne leur fût pas possible d’avancer au-delà d’une grande barrière qui conduisait à une belle avenue pratiquée dans la forêt dont nous avons parlé. Cette route offrait, pendant un espace de deux milles, les plus beaux points de vue du château et du lac, et aboutissait au pont nouvellement construit, qui semblait en être une dépendance. C’était le chemin que la reine devait suivre pour se rendre au château dans cette mémorable journée.
La comtesse et Wayland trouvèrent la barrière de cette avenue, qui donnait sur la route de Warwick, gardée par une compagnie de yeomen à cheval de la garde de la reine. Ils étaient couverts de cuirasses richement ciselées et dorées ; ils portaient des casques au lieu de toques, et tenaient la crosse de leurs carabines appuyée sur la cuisse. Ces gardes, toujours de service partout où la reine allait en personne, étaient sous les ordres d’un poursuivant d’armes, que la plaque qu’il portait au bras, et sur laquelle étaient gravés l’ours et le bâton, armoiries de son maître, annonçaient comme étant de la maison du comte de Leicester. Il ne laissait entrer absolument que les personnes invitées à la fête, et les gens qui devaient faire partie des spectacles et des amusemens.
La foule se pressait autour de cette barrière, et chacun alléguait quelque motif différent pour être admis ; mais les gardes inexorables opposaient à leurs prières la sévérité de leur consigne, fondée sur l’aversion bien connue que la reine avait pour l’empressement grossier de la populace. Ceux qui ne se contentaient pas de ces raisons étaient traités plus durement ; les soldats les repoussaient sans cérémonie à l’aide de leurs chevaux bardés de fer ou avec la crosse de leurs carabines. Ces manœuvres produisaient parmi la foule des ondulations
Weitere Kostenlose Bücher