Kenilworth
l’énumération des vertus d’un souverain que je vois que c’est moi qui ai tout sujet d’avoir peur de vous. Et ensuite avec quelle grâce elle a pris la belle bourse où étaient les vingt souverains d’or, paraissant ne vouloir pas la toucher ; mais elle l’a prise néanmoins.
– Oui, oui, dit un autre ; ses doigts m’ont semblé se fermer sur la bourse assez volontiers ; et j’ai cru remarquer que la reine la pesait un moment dans sa main, comme pour dire : J’espère qu’ils sont de poids.
– Elle n’avait rien à craindre de ce côté-là, voisin, dit un troisième. Ce n’est que lorsque la corporation paie les comptes d’un pauvre ouvrier comme moi qu’elle le renvoie avec des pièces rognées. Heureusement, il y a un Dieu là-haut. Le petit archiviste, puisqu’on le nomme ainsi, va être maintenant plus grand que jamais.
– Allons, mon bon voisin, dit celui qui avait, parlé le premier, ne soyez point envieux ; Élisabeth est une reine bonne et généreuse. Elle a donné la bourse au comte de Leicester.
– Moi envieux ! le diable t’emporte pour ce mot-là ! répliqua l’ouvrier. Mais je pense qu’elle donnera bientôt tout au comte de Leicester.
– Vous allez vous trouver mal, madame, dit Wayland à la comtesse ; et il lui proposa de quitter le grand chemin, et de s’arrêter jusqu’à ce qu’elle fût un peu remise. Mais Amy maîtrisa les émotions que lui firent éprouver ces paroles et d’autres de même nature qui frappèrent ses oreilles pendant leur chemin, et elle insista pour que son guide la conduisît à Kenilworth avec toute la célérité que permettaient les nombreux obstacles de la route. L’inquiétude de Wayland au sujet de ses faiblesses réitérées et de l’absence visible de son esprit augmentait à chaque instant, et il commençait à désirer impatiemment de la voir, selon ses demandes réitérées, dans le château, où il ne doutait pas qu’elle ne fût assurée d’un bon accueil, quoiqu’elle semblât ne vouloir pas avouer sur qui elle fondait ses espérances.
– Si je suis une fois hors de ce péril, pensait-il, et que quelqu’un me reprenne à servir d’écuyer à une demoiselle errante, je lui permets de me briser la tête avec mon marteau de forgeron.
Enfin parut le magnifique château de Kenilworth, aux embellissemens duquel et à l’amélioration des domaines qui en dépendaient le comte de Leicester avait, dit-on, dépensé soixante mille livres sterling, somme égale à un demi-million de ce temps-là {112} .
Les murs extérieurs de ce superbe et gigantesque édifice renfermaient sept acres {113} , dont une partie était occupée par de vastes écuries et un jardin de plaisance avec des bosquets élégans et des parterres remplis de fleurs ; le reste formait la première cour ou cour extérieure.
Le bâtiment qui s’élevait au milieu de cette spacieuse enceinte était composé de plusieurs corps de logis magnifiques, qui paraissaient avoir été construits à différentes époques, et qui entouraient une cour intérieure. Le nom et les armoiries de chaque partie séparée rappelaient le souvenir de seigneurs puissans, morts depuis long-temps, et dont l’histoire, si l’ambition eût su l’entendre, aurait donné une utile leçon au favori orgueilleux qui avait acquis et augmenté leurs domaines. Le vaste donjon qui formait la citadelle du château datait de l’antiquité la plus reculée, quoiqu’on ne sût rien de précis sur l’époque où il avait été bâti.
Il portait le nom de César, peut-être à cause de sa ressemblance avec celui du même nom qu’on voit à la Tour de Londres. Quelques antiquaires prétendaient que ce fort avait été élevé par Kenelph, roi saxon de Mercie {114} , qui avait donné son nom au château, et d’autres qu’il avait été bâti peu de temps après la conquête des Normands. Sur les murs extérieurs était l’écusson des Clinton, qui les avait fondés sous le règne de Henry I er , ainsi que celui de Simon de Montfort, encore plus redoutable, qui, dans les Guerres des Barons, avait long-temps défendu Kenilworth contre le roi Henry III. Mortimer, comte de March, fameux par son élévation et par sa chute, y avait jadis donné des fêtes et des carrousels pendant que son souverain détrôné, Édouard II, languissait dans les cachots mêmes du château. Le vieux Jean de Gaunt (de l’antique race de Lancastre) avait beaucoup agrandi cet édifice en
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