Kenilworth
de ses couleurs, cet éternel retour vers un songe cruellement interrompu, c’est la faiblesse d’un cœur noble et généreux ; c’était celle de Tressilian.
Il sentit enfin lui-même la nécessité de se distraire, et sortit de la Plaisance pour se joindre à la foule bruyante qui couronnait les remparts, afin de voir les préparatifs de la cérémonie. Mais quand son oreille entendit ce tumulte, cette musique, ces cris de joie qui retentissaient de toutes parts, il éprouva une invincible répugnance à se mêler à des gens dont les sentimens étaient si peu en harmonie avec les siens, et il résolut de se retirer dans sa chambre, et d’y rester jusqu’à ce que la grande cloche du château annonçât l’arrivée d’Élisabeth.
Il traversa le passage qui séparait les cuisines de la grand’salle, et monta au troisième étage de la tour de Mervyn. Il poussa la porte du petit appartement qu’on lui avait assigné, et fut surpris de la trouver fermée ; mais il se souvint que le chambellan lui en avait remis une clef en l’avertissant que, dans la confusion qui régnait au château, il fallait avoir soin de tenir la porte bien close. Il mit la clef dans la serrure, ouvrit la porte, et aperçut aussitôt une femme qui lui retraçait Amy Robsart. Sa première idée fut que son imagination troublée lui présentait un fantôme trompeur ; mais il fut bientôt convaincu que c’était Amy elle-même qu’il voyait, plus pâle, il est vrai, que dans ces jours de bonheur où elle unissait aux formes et à la fraîcheur d’une nymphe des bois la taille d’une sylphide ; mais c’était encore cette Amy dont les yeux n’avaient jamais rencontré l’égale en beauté sur la terre.
La comtesse ne fut pas moins étonnée que Tressilian, quoique sa surprise ne fût pas de si longue durée, car elle avait appris de Wayland qu’il était dans le château. Elle avait tressailli et s’était levée à son entrée. Debout vis-à-vis lui, elle ne put empêcher une vive rougeur de remplacer la pâleur mortelle de son visage.
– Tressilian, dit-elle, que venez-vous chercher ici ?
– Mais vous-même, Amy, que venez-vous y faire ? Venez-vous réclamer un secours qui ne vous sera jamais refusé, s’il peut dépendre de mon cœur ou de mon bras ?
Elle garda un moment le silence, puis elle répondit d’une voix qui exprimait plutôt la douleur que la colère : – Tressilian, je n’implore les secours de personne ; ceux que votre bonté pourrait m’offrir me seraient plus nuisibles qu’utiles. Croyez-moi, il y a près d’ici quelqu’un que les lois et l’amour obligent à me protéger.
– Ce misérable vous a donc fait la triste réparation qui restait en son pouvoir, dit Tressilian ; et je vois devant moi l’épouse de Varney !
– L’épouse de Varney ! répondit-elle avec toute l’emphase du mépris ; de quel infâme nom osez-vous déshonorer la… la… la… Elle hésita, balbutia, baissa les yeux, et resta confuse et muette, car elle se rappela les fatales conséquences auxquelles elle s’exposait si elle eût ajouté la comtesse de Leicester ; c’eût été trahir le secret dont la fortune de son époux dépendait ; c’eût été le dévoiler à Tressilian, à Sussex, à la reine, à toute la cour. – Jamais, pensa-t-elle, jamais je ne violerai le silence que j’ai promis ; je préfère m’exposer aux plus odieux soupçons !
Ses yeux se remplirent de larmes ; elle resta muette devant Tressilian. Après avoir jeté sur elle un regard mêlé de douleur et de pitié, Tressilian lui dit : – Hélas ; Amy, vos yeux démentent votre bouche : vous parlez d’un protecteur qui veut et qui peut vous défendre : mais ces larmes me disent que vous avez été abusée et abandonnée par le misérable auquel vous aviez donné votre affection.
Elle le regarda avec des yeux où la colère étincelait à travers les larmes, et se contenta de répéter avec l’accent du mépris : Le misérable .
– Oui, le misérable ! dit Tressilian, et ce n’est pas dire assez. Mais pourquoi donc êtes-vous ici, seule dans mon appartement ? pourquoi n’a-t-il pas pris des mesures pour vous recevoir avec honneur ?
– Dans votre appartement ! s’écria Amy. Je vais vous délivrer de ma présence ! Aussitôt elle courut pour sortir ; mais le souvenir de l’abandon où elle se trouvait vint alors s’offrir à sa pensée ; s’arrêtant sur le seuil de la porte, elle ajouta
Weitere Kostenlose Bücher