Kenilworth
bien. C’est ainsi qu’on me remercie quand on a tiré de moi tout ce qu’on a voulu. Tu ne consens donc pas à m’apprendre l’histoire de cette dame, qui est ta sœur comme moi ?
– À quoi te servirait de l’apprendre, petit lutin ?
– N’as-tu que cela à me dire ? À la bonne heure, je m’en soucie fort peu. Je te dirai seulement que je ne trahis jamais un secret, mais que je travaille toujours à faire échouer les projets qu’on me cache. Je te souhaite le bonsoir.
– Ne t’en va pas si vite, répondit Wayland, qui connaissait trop bien l’infatigable activité de Flibbertigibbet pour ne pas la redouter. Pas si vite, mon cher Dick ; on ne se sépare pas si brusquement de ses vieux amis. Tu sauras un jour tout ce que je sais moi-même de cette dame.
– Oui, répondit Dick ; et ce jour-là n’est peut-être pas bien éloigné. Porte-toi bien, Wayland : je retourne auprès de mon géant ; s’il n’a pas l’esprit aussi fin que bien d’autres, il est au moins plus reconnaissant des services qu’on lui rend. Ainsi, je te le répète, bonsoir.
En disant ces mots il fit une gambade, et, continuant à courir avec son agilité accoutumée, il disparut en un instant.
– Plût à Dieu que je fusse déjà hors de ce château ! dit Wayland. Si une fois ce nain malicieux met le doigt dans le pâté, ce sera un mets digne de Satan lui-même. Du moins si je pouvais rencontrer M. Tressilian !
Tressilian, qu’il attendait avec tant d’impatience, venait d’entrer à Kenilworth par un côté opposé à celui où se tenait Wayland. Il était sorti du château le matin même pour accompagner les deux comtes à Warwick, ainsi que Wayland l’avait pensé, espérant apprendre dans cette ville quelques nouvelles de son émissaire. Trompé dans cet espoir, et s’apercevant que Varney, qui faisait partie de la suite de Leicester, paraissait vouloir s’approcher de lui pour lui parler, il jugea prudent d’éviter l’entrevue dans les circonstances présentes, et sortit de la salle d’audience de la reine pendant que le shériff du comté haranguait Sa Majesté. Il remonta à cheval, revint à Kenilworth par un chemin détourné, et entra dans le château par une porte dérobée, qu’on lui ouvrit sans difficulté quand on le reconnut pour un des officiers de la suite du comte de Sussex, envers lesquels Leicester avait ordonné de montrer la plus grande courtoisie. Il ne rencontra donc pas Wayland, qui attendait son arrivée avec une si vive impatience, et que de son côté il eût été si charmé de voir.
Après avoir remis son cheval à son domestique, Tressilian se promena pendant quelques instans dans ce qu’on appelait la Plaisance et dans les jardins, bien moins pour y admirer les beautés de la nature et les chefs-d’œuvre de l’art que Leicester y avait réunis, que pour s’y livrer sans distraction à ses pénibles idées. La plupart des personnes de marque avaient quitté le château pour accompagner les deux comtes ; tous ceux qui étaient restés avaient pris place sur les créneaux, les murs extérieurs et les tours, pour jouir du magnifique coup d’œil de l’entrée de la reine. Ainsi, tandis que tout le château retentissait de cris et de tumulte, le jardin seul restait calme et paisible. Le silence n’y était interrompu que par le frémissement des feuilles, le chant des oiseaux, dont un grand nombre, enfermés dans une vaste volière, semblaient disputer le prix de la mélodie à leurs heureux compagnons, habitans libres de l’air, et par la chute de l’eau, qui, lancée par des figures d’une forme fantastique et grotesque, retombait dans de superbes bassins de marbre d’Italie.
L’imagination mélancolique de Tressilian couvrait d’un voile sombre tous les objets qui l’entouraient. Il comparait les ruines magnifiques qu’il avait sous les yeux aux épaisses forêts et aux bruyères sauvages qui environnent Lidcote-Hall ; et l’image d’Amy Robsart errait comme un fantôme dans tous les paysages que sa triste pensée lui retraçait.
Il n’est peut-être rien de plus funeste au bonheur des hommes amis de la rêverie et de la solitude que de nourrir de bonne heure une passion malheureuse ; elle jette dans leur cœur de si profondes racines qu’elle devient leur songe de toutes les nuits et leur pensée de tous les jours.
Ce malaise de cœur, ces regrets qui nous entraînent encore à la poursuite d’une ombre qui a perdu tout l’éclat
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