Kenilworth
étiez prêt à faire la plus infâme coquinerie qu’on puisse imaginer, comme l’enfant qui n’est jamais plus tenté de se rouler dans la boue que quand on vient de lui mettre sa belle jaquette des dimanches.
– Ne t’inquiète pas de ma conscience ; c’est une chose que tu ne peux comprendre, puisque tu n’en as jamais eu une à toi. Arrivons au fait, et apprends-moi, en un mot, quelle affaire tu as avec moi, et quel espoir t’a amené ici.
– L’espoir de me faire du bien, comme disait une vieille femme en se jetant par-dessus le pont de Kingston. Voyez cette bourse ; c’est tout ce qui me reste d’une somme ronde. Je vous trouve ici bien établi, à ce qu’il paraît, et bien appuyé, à ce que je pense ; car on sait que vous êtes sous une protection. Oui, on le sait, vous ne pouvez frétiller dans un filet sans qu’on vous voie à travers les mailles. Or, je sais qu’une telle protection ne s’accorde pas pour rien. Vous devez la payer par quelques services, et je viens vous offrir de vous aider à les rendre.
– Mais si je n’ai pas besoin de ton aide, Michel ? Il me semble que ta modestie doit regarder ce cas comme possible.
– C’est-à-dire que tu veux te charger de toute la besogne, afin de ne pas avoir à partager le salaire. Mais prends garde d’être trop avide ; la cupidité, en voulant amasser trop de grain dans un sac, le fait crever, et perd tout. Examine un chasseur qui veut tuer un cerf ; il prend avec lui non seulement le limier pour suivre la trace de la bête fauve, mais le chien courant pour l’atteindre. Ton patron doit avoir besoin des deux, et je puis lui devenir utile. Tu as une profonde sagacité, une ténacité infatigable et une malignité naturelle bien exercée qui surpasse la mienne. Mais moi, je suis le plus hardi et le plus vif dans les expédiens et dans l’action. Séparés l’un de l’autre, il manque quelque chose à l’un de nous ; réunis, rien ne peut nous résister. Eh bien ! qu’en dis-tu, chasserons-nous de compagnie ?
– C’est la proposition d’un chien hargneux que de vouloir se mêler de mes propres affaires. Mais tu as toujours été un chien mal dressé.
– À moins que tu ne refuses mon offre, tu n’auras pas lieu de parler ainsi. Au surplus fais ce que tu voudras ; mais songe que je t’aiderai dans tes entreprises ou que je les traverserai, car il me faut de la besogne, et j’en trouverai pour ou contre toi.
– Eh bien, puisque tu me laisses le choix, j’aime mieux être ton ami que ton ennemi. Tu ne te trompes pas ; je puis te procurer un patron assez puissant pour nous servir tous deux et une centaine d’autres ; et, pour dire la vérité, tu as tout ce qu’il faut pour lui être utile. Son service exige hardiesse et dextérité ; les registres de la justice rendent témoignage en ta faveur. – Il ne faut pas être arrêté par des scrupules : qui jamais t’a soupçonné d’avoir une conscience ? L’assurance est nécessaire pour suivre un courtisan : ton front est aussi impénétrable que s’il était couvert d’un casque de Milan. – Je ne voudrais de changement en toi que pour un seul point.
– Et quel est ce point, mon digne ami Tony ? parle, car je te jure par l’oreiller des sept dormans que je te donnerai satisfaction.
– En voilà effectivement une bonne preuve ! Je vous dirai que vos discours ne sont plus de mode. Vous les entrelardez à chaque instant de sermens qui sentent le papisme. D’ailleurs vous avez l’air trop débauché, trop mondain pour paraître à la suite d’un seigneur qui a une réputation à conserver aux yeux du monde. Il faut prendre un air plus grave et plus composé, porter des vêtemens moins brillans, un collet sans plis et bien empesé, un chapeau à bords plus larges, des pantalons plus étroits ; aller à l’église au moins une fois par mois ; ne faire de protestations que sur votre foi et votre conscience ; renoncer à cette tournure de spadassin ; enfin ne jamais toucher à la poignée de votre sabre que lorsqu’il s’agit sérieusement d’employer cette arme terrestre.
– De par le jour qui nous éclaire, Tony, tu es devenu fou ! Tu viens de faire le portrait du valet de chambre d’une vieille puritaine, plutôt que celui d’un brave au service d’un courtisan ambitieux. Un homme tel que tu voudrais que je devinsse devrait porter à sa ceinture une Bible au lieu de poignard, et avoir tout juste assez de valeur pour suivre
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