Kenilworth
mon nom un affront ineffaçable, qui m’a fait éprouver des transes si cruelles. Je ne dois plus me plaindre de mes destinées, qui me donnent le moyen de découvrir les ruses par lesquelles il croit encore m’en imposer ; je saurai dévoiler et châtier à la fois sa scélératesse. Il faut que je retourne reprendre mon joug ; il sera léger pour moi maintenant, car à minuit au plus tard sonnera l’heure de ma vengeance.
Au milieu de ces réflexions qui assiégeaient l’esprit de Leicester, il traversa de nouveau la foule, qui s’entr’ouvrit devant lui, et reprit sa place à côté de la reine, envié et admiré de tout le monde. Mais si le cœur de celui que tous enviaient eût pu être dévoilé à cette nombreuse assemblée, si l’on eût pu découvrir les sombres pensées de sa coupable ambition, de son amour trahi, de sa vengeance terrible, et le projet d’un cruel attentat, se succédant alternativement comme les spectres dans le cercle d’une infernale magicienne, quel eût été, depuis le plus ambitieux courtisan jusqu’au serviteur le plus obscur, quel eût été celui qui aurait désiré changer de place avec le favori d’Élisabeth, le seigneur de Kenilworth ?
De nouveaux tourmens l’attendaient près de la reine.
– Vous arrivez à temps, milord, dit-elle, pour prononcer sur une dispute qui s’est élevée entre nos dames. Sir Richard Varney vient de nous demander la permission de quitter le château, avec son épouse malade, se disant assuré de l’agrément de Votre Seigneurie, pourvu qu’il puisse obtenir le nôtre. Certes, notre intention n’est pas de l’empêcher de donner ses soins affectueux à cette pauvre jeune femme ; mais il faut que vous sachiez que sir Richard s’est montré aujourd’hui tellement épris des charmes de nos dames, que voici notre duchesse de Rutland qui prétend qu’il ne conduira sa femme que jusqu’au lac, où il la jettera pour qu’elle aille habiter les palais de cristal dont nous a parlé la nymphe enchantée, et qu’il viendra ensuite, veuf et content, sécher ses larmes et réparer sa perte avec les dames de notre suite. Qu’en dites-vous, milord ? Nous avons vu Varney sous trois ou quatre déguisemens différens. Mais vous qui le connaissez tel qu’il est en effet, pensez-vous qu’il soit assez méchant pour traiter sa femme d’une manière aussi cruelle ?
Leicester était confondu, mais le danger était urgent, et une réponse absolument nécessaire. – Ces dames, dit-il, pensent trop légèrement de leur sexe si elles supposent qu’une femme puisse mériter un pareil sort, ou trop sévèrement du nôtre si elles pensent qu’un homme puisse infliger à une femme innocente un pareil châtiment.
– Entendez-le, mesdames, reprit Élisabeth ; comme le reste des hommes, il cherche à justifier leur cruauté à notre égard en nous accusant d’inconstance.
– Ne dites pas nous , madame, répliqua le comte ; je dis que les femmes ordinaires, comme les planètes d’un ordre inférieur, ont leurs révolutions et leurs phases ; mais qui osera accuser le soleil de mutabilité, ou Élisabeth d’inconstance ?
La conversation prit peu de temps après une direction moins dangereuse, et Leicester continua à y prendre une part active, malgré les angoisses de son âme. Élisabeth trouva cet entretien si agréable que la cloche du château avait sonné minuit avant qu’elle se fût retirée, circonstance rare dans ses habitudes régulières. Son départ fut le signal de la séparation générale. Chacun se rendit à son appartement pour songer aux réjouissances du jour, ou pour jouir par anticipation de celles du lendemain.
L’infortuné seigneur de Kenilworth, l’hôte magnifique qui donnait ces superbes fêtes, se retira pour s’occuper de soins bien différens. Il ordonna au valet qui le suivait de faire venir Varney sur-le-champ. Le messager revint quelque temps après ; il lui apprit que Varney avait quitté le château depuis une heure, et qu’il était sorti par la poterne avec trois autres personnes, dont l’une était enfermée dans une litière.
– Comment a-t-il pu sortir du château après que la garde a été placée ? Je croyais qu’il ne partirait qu’à la pointe du jour.
– Il a donné à la garde des raisons satisfaisantes, répondit le domestique, et, à ce que j’ai entendu dire, il a montré l’anneau de Votre Seigneurie.
– C’est la vérité, dit le comte, mais il s’est trop
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