Kenilworth
agité ?
« Pourquoi du moindre bruit est-il épouvanté ? »
SHAKSPEARE, Macbeth .
– Je désire un entretien avec vous. – Ces mots étaient simples en eux-mêmes, mais lord Leicester était dans cet état d’agitation où l’esprit troublé voit dans les circonstances les plus ordinaires un côté mystérieux et alarmant ; il se retourna avec vivacité pour examiner la personne qui les avait prononcés.
L’extérieur de cet individu n’avait rien de remarquable ; il était vêtu d’un pourpoint et d’un manteau court de soie noire, et sa figure était couverte d’un masque noir de même étoffe. Il paraissait avoir fait partie de la foule de masques qui étaient entrés dans la salle à la suite de Merlin, quoique son déguisement n’eût rien de l’extravagance qui distinguait tous les autres.
– Qui êtes-vous ? et que me voulez-vous ? dit Leicester, non sans trahir par l’accent de sa voix l’agitation de son âme.
– Je ne vous veux aucun mal, milord ; au contraire, vous verrez que mes intentions ne peuvent que vous être avantageuses et honorables, si vous savez les apprécier : Mais il faut que je vous parle en particulier.
– Je ne puis parler avec un inconnu qui ne se nomme point, répondit Leicester, commençant à concevoir des craintes vagues sur la demande de cet étranger ; et ceux qui sont connus de moi doivent prendre un moment plus opportun pour me demander une entrevue.
Il voulut s’éloigner ; mais le masque l’arrêta.
– Ceux qui parlent à Votre Seigneurie de ce qui intéresse son honneur ont des droits sur vos momens, quelques occupations que vous soyez forcé de quitter pour les écouter.
– Comment, mon honneur ? Qui ose le mettre en doute ? dit Leicester.
– Votre conduite, milord, pourrait seule donner des motifs de l’accuser, et c’est à ce sujet que je désirais vous parler.
– Vous êtes un insolent, dit Leicester ; vous abusez de la licence de ce temps d’hospitalité qui m’empêche de vous punir. Quel est votre nom ?
– Edmond Tressilian de Cornouailles, répondit le masque ; ma langue a été liée par une promesse pendant vingt-quatre heures. Ce délai est écoulé… Je puis parler maintenant, et c’est par égard pour Votre Seigneurie que je m’adresse d’abord à elle.
L’étonnement qui pénétra Leicester jusqu’au fond du cœur lorsqu’il entendit prononcer ce nom par l’homme qu’il détestait le plus, et par lequel il se croyait si cruellement outragé, le rendit un instant immobile ; mais sa stupeur fit place sur-le-champ à un besoin de vengeance aussi impérieux que la soif du voyageur dans le désert. Cependant il lui resta assez d’empire sur lui-même pour ne pas percer le cœur du scélérat audacieux qui, après l’avoir réduit au désespoir, osait, avec tant d’effronterie, venir essayer jusqu’où pouvait aller sa patience. Déterminé à cacher pour le moment toute apparence d’agitation, afin de saisir les desseins de Tressilian dans toute leur étendue et d’assurer sa vengeance, il répondit d’une voix que la colère concentrée rendait presque inintelligible :
– Que demande de moi M. Tressilian ?
– Justice, répondit Tressilian d’un ton calme, mais avec fermeté.
– Justice ! dit Leicester ; tous les hommes y ont droit. Vous surtout, M. Tressilian, plus que tout autre ; soyez sûr que justice vous sera faite.
– Je n’attendais pas moins de la noblesse de votre caractère, dit Tressilian, mais le temps presse ; il faut que je vous parle cette nuit même. Puis-je aller vous trouver dans votre appartement ?
– Non, dit Leicester d’un air farouche, ce n’est ni dans une maison, ni surtout dans la mienne, que nous devons nous voir ; c’est sous la voûte des cieux.
– Vous êtes troublé ou irrité, milord, reprit Tressilian ; je ne vois rien cependant qui puisse exciter votre colère ; le lieu de notre rendez-vous m’est indifférent, pourvu que vous m’accordiez une demi-heure sans interruption.
– Un temps plus court suffira, je l’espère, répondit Leicester ; trouvez-vous dans la Plaisance dès que la reine se sera retirée dans ses appartemens.
– Il suffit, dit Tressilian ; et il s’éloigna, laissant Leicester dans une sorte de transport qui semblait remplir son âme entière pour le moment.
– Le ciel, disait-il, se montre enfin propice à mes vœux ; il livre à ma vengeance le misérable qui a imprimé sur
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