Kenilworth
comprendre quand je vous dis franchement que, l’objet que j’avais en vue se trouvant rempli, nous devons être désormais étrangers l’un pour l’autre.
– Voto a Dios ! s’écria Lambourne en relevant d’une main ses moustaches, et en portant l’autre sur la poignée de son sabre ; si je croyais que vous eussiez dessein de m’insulter…
– Vous auriez assez de discrétion pour le souffrir, comme c’est votre devoir dans tous les cas, répondit tranquillement Tressilian. Vous connaissez trop bien la distance qui nous sépare pour me demander une plus ample explication. Je vous souhaite le bonsoir.
À ces mots il lui tourna le dos, et se mit à causer avec l’aubergiste. Lambourne mourait d’envie de faire le rodomont, mais sa colère se borna à jurer entre les dents, et céda à l’influence qu’un homme d’un rang et d’un mérite supérieurs possède toujours sur des êtres de l’espèce d’un tel misérable. Il s’assit en silence d’un air boudeur dans un coin de la salle, occupé d’une manière marquée à suivre des yeux tous les mouvemens de Tressilian, contre qui il commençait à nourrir des projets de vengeance pour son propre compte, et il espérait pouvoir les accomplir en exécutant les ordres de Varney. L’heure du souper arriva, et quand il fut terminé, Tressilian se retira dans son appartement, et chacun en fit autant.
Il n’était pas couché depuis bien long-temps, quand le cours des réflexions qui l’occupaient, et qui remplaçaient pour lui le sommeil, fut interrompu tout-à-coup par le bruit que fit sa porte en roulant sur ses gonds, et par un faible rayon de lumière qui se répandit dans sa chambre. Brave comme l’acier, il sauta à bas de son lit, saisit son épée, et allait la tirer quand une voix lui dit : – Tout doux, M. Tressilian, tout doux ; c’est moi, c’est votre hôte, Giles Gosling.
Et en même temps, ouvrant la lanterne sourde, qui n’avait répandu jusqu’alors qu’une faible lueur, il fit reconnaître ses traits et sa figure de bonne humeur à Tressilian étonné.
– Que signifie ceci, M. Gosling ? Avez-vous aussi bien soupé que la nuit dernière ? Vous méprenez-vous de chambre, ou croyez-vous que celle d’un de vos hôtes soit un lieu convenable pour venir faire vos tours à minuit ?
– Je ne me trompe ni de lieu ni d’heure, M. Tressilian ; je connais l’un et l’autre aussi bien qu’aucun aubergiste d’Angleterre. Mais il y a d’une part mon pendard de neveu qui vous a guetté toute la soirée mieux que jamais chat n’a guetté une souris ; d’une autre vous avez eu une querelle, vous vous êtes battu, soit avec lui, soit avec quelque autre, et je crains qu’il n’en résulte quelque danger pour vous.
– Vous êtes fou, mon cher hôte ; votre neveu est au-dessous de mon ressentiment ; d’ailleurs, quelle raison avez-vous de croire que j’aie eu une querelle avec qui que ce soit ?
– Je l’ai vu à la couleur de vos joues quand vous êtes rentré, monsieur ; c’est un indice aussi sûr qu’il est certain que la conjonction de Mars avec Saturne porte malheur. Ensuite les boucles de votre ceinturon étaient placées de travers ; vous aviez l’air agité, vous marchiez d’un pas rapide : enfin, tout annonçait que votre main et la poignée de votre épée s’étaient caressées depuis peu.
– Hé bien, mon bon hôte, quand il serait vrai que j’eusse été obligé de tirer l’épée, pourquoi cette circonstance vous fait-elle sortir d’un lit bien chaud à une pareille heure ? vous voyez qu’aucun malheur n’en est résulté.
– Non, mais qui sait ce qui en résultera ? Tony Foster est un homme dangereux ; il a à la cour de puissantes protections qui l’ont tiré d’affaire en plus d’une occasion. Et mon neveu… je vous ai dit ce qu’il est. Si deux coquins ont renoué connaissance, je ne voudrais pas, mon digne hôte, que ce fût à vos dépens. Michel a questionné le garçon d’écurie pour savoir quand vous partiez, et quel chemin vous deviez prendre. Or, je voudrais que vous réfléchissiez si vous n’ayez rien fait ou rien dit qui pût faire méditer quelque trahison contre vous.
– Vous êtes un honnête homme, Gosling, dit Tressilian après un moment de réflexion, et je vous parlerai avec franchise. Si ces deux coquins ont de mauvais desseins contre moi, et je ne nie pas que cela soit possible, c’est parce qu’ils sont les agens subalternes
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