Kenilworth
la maison d’York, et suivit le parti de ce Simnel, qui prenait le titre de comte de Warwick, comme depuis presque tout ce comté embrassa la cause de Perkin Warbeck, qui se donnait le nom de duc d’York. Mon aïeul joignit les étendards de Simnel, et, après des prodiges de valeur, fut fait prisonnier à la bataille de Stoke, où la plupart des chefs de cette malheureuse armée périrent les armes à la main. Le brave chevalier auquel il se rendit, sir Roger Robsart, le mit à l’abri de la vengeance du roi, lui rendit la liberté sans rançon, mais il ne put le garantir des autres suites de sa démarche imprudente, c’est-à-dire des amendes considérables qui furent prononcées contre lui, moyen favori de Henry pour affaiblir ses ennemis. Le bon chevalier fit pourtant tout ce qu’il put pour alléger l’infortune de mon aïeul, et leur amitié devint si intime que mon père fut élevé comme le frère et le compagnon de sir Hugh Robsart, fils unique de sir Roger, et tenant de lui son caractère généreux, bienveillant et hospitalier, quoiqu’il n’ait pas ses qualités guerrières.
– J’ai entendu parler du bon sir Robsart, dit l’hôte, et souvent : son premier piqueur, son fidèle serviteur, William Badger, en a fait l’éloge plus de cent fois dans cette maison. C’est un chevalier aimant la joie, pratiquant l’hospitalité, et tenant table ouverte plus qu’on ne fait à présent, où l’on met en galons d’or sur le dos d’un valet de quoi fournir du bœuf et de l’ale pendant toute une année à une douzaine de gaillards, et leur donner le moyen de passer dans une taverne une soirée par semaine, à la satisfaction de nous autres publicains.
– Si vous connaissez Badger, mon cher hôte, vous avez entendu parler de sir Hugh Robsart ; c’est pourquoi je me bornerai à vous dire qu’il a porté si loin l’hospitalité dont vous parlez, que sa fortune en a souffert, ce qui est peut-être d’autant moins important, qu’il n’a qu’une fille pour en hériter. C’est ici que je commence à figurer dans cette histoire. À la mort de mon père, il y a plusieurs années, le bon sir Hugh aurait voulu que je ne le quittasse jamais. Il y avait pourtant des momens où je sentais que sa passion excessive pour la chasse m’empêchait de me livrer à des études qui m’auraient été plus utiles ; mais je cessai bientôt de regretter le temps que la reconnaissance et une amitié héréditaire me forçaient d’accorder à ces plaisirs. La beauté parfaite de sa fille Amy, qui se développait à mesure qu’elle avançait en âge, ne pouvait manquer de faire impression sur un jeune homme qui était constamment près d’elle. En un mot, je l’aimai, et son père s’en aperçut.
– Et il n’approuva pas votre amour. Cela va sans dire. C’est l’usage en pareil cas ; et le soupir que vous venez de pousser est une preuve qu’il ne s’en est point écarté.
– Tout au contraire. Le généreux sir Hugh Robsart approuva mon attachement pour sa fille, et ce fut elle dont le cœur refusa de le partager. Elle m’accorda pourtant son estime, et me permit d’espérer qu’un sentiment plus tendre pourrait y succéder. Notre contrat de mariage fut rédigé et signé à la demande de son père ; mais la célébration en fut remise à un an, d’après le désir qu’il en témoigna. Pendant ce temps, Richard Varney arriva dans les environs. Se prévalant d’une parenté éloignée avec sir Hugh, il lui fit des visites fréquentes, et finit par passer chez lui presque toutes les journées.
– Mauvais augure pour le lieu qu’il honorait de sa présence ! dit Giles Gosling.
– Cela n’est que trop vrai, et il n’en résulta que des malheurs. Cependant ce fut d’une manière si étrange que je ne sais encore comment retracer les gradations par lesquelles ils ont fondu sur une famille jusqu’alors si heureuse. Pendant quelque temps Amy parut recevoir les soins de Varney avec cette indifférence dont on paie généralement des attentions qui n’ont pas un but sérieux. Bientôt elle sembla le voir avec déplaisir et même avec répugnance. Enfin il s’établit entre eux une liaison d’une nature bien extraordinaire : Varney renonça à l’air de prétentions et de galanterie qu’il avait d’abord pris auprès d’elle ; Amy ne lui témoigna plus cette froideur glaciale avec laquelle elle avait repoussé ses premières avances ; et une intelligence secrète, fondée
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