Kenilworth
d’un scélérat plus puissant.
– Vous voulez dire M. Richard Varney, n’est-ce pas ? il était hier à Cumnor-Place, et, malgré ses précautions, il a été aperçu par quelqu’un qui me l’a dit.
– C’est lui dont je veux parler, mon hôte.
– Hé bien, pour l’amour du ciel, M. Tressilian, prenez garde à vous ; ce Varney est le protecteur et le patron de Foster, qui a obtenu de lui la jouissance de Cumnor-Place et du parc. Varney a obtenu les biens de l’abbaye d’Abingdon, dont ce domaine fait partie, de son maître le comte de Leicester. On dit qu’il a tout pouvoir sur l’esprit du comte, quoique j’aie trop bonne opinion de ce dernier pour croire qu’il emploie Varney comme certaines gens le prétendent ; or, le comte peut tout sur l’esprit de la reine (j’entends tout ce qui est juste et convenable). Vous voyez donc quel ennemi vous vous êtes fait.
– Eh bien, c’est une affaire finie ; je ne saurais y remédier.
– Mais il faut y remédier de manière ou d’autre. Richard Varney, grâce à son influence sur l’esprit du comte, et à de vieilles prétentions vexatoires qu’il fait valoir comme héritier de tous les droits de l’abbaye ; Richard Varney inspire tant de terreur qu’on ose à peine prononcer son nom, encore moins le contrecarrer dans ses sourdes menées. Vous en pouvez juger par la conversation d’hier soir. On ne s’est pas gêné pour parler de Tony Foster, mais on n’a pas dit un mot de Varney ; et cependant chacun est convaincu que c’est lui qui fait garder avec tant de mystère une belle dame à Cumnor-Place. Mais vous en savez à ce sujet plus que moi, car, quoique les dames ne portent pas d’épée, elles ont fait sortir plus d’une lame du fourreau.
– Oui, brave Gosling, je sais sur cette infortunée bien des détails que vous ne pouvez savoir, et, ayant en ce moment besoin d’avis et de conseils, je prendrai volontiers les vôtres. Je vous apprendrai donc toute son histoire, d’autant plus qu’après vous l’avoir racontée j’aurai un service à vous demander.
– Je ne suis qu’un pauvre aubergiste, M. Tressilian, et peu capable de faire agréer mes avis à un homme comme vous ; mais, aussi sûr que j’ai fait honnêtement mon chemin dans ce monde en donnant bonne mesure et en ne faisant payer qu’un écot raisonnable, je suis un honnête homme, et s’il arrive que je ne puisse vous aider, du moins je suis incapable de trahir votre confiance. Parlez-moi donc à cœur ouvert, comme si vous parliez à votre père, et soyez certain que ma curiosité, car c’est une des vertus de mon état, est accompagnée d’une dose raisonnable de discrétion.
– Je n’en doute pas, Gosling, répondit Tressilian ; et tandis que son auditeur se préparait à lui donner toute son attention, il réfléchit un instant comment il commencerait son récit. – Pour me rendre intelligible, dit-il enfin, il faut que je remonte un peu haut. Vous avez entendu parler de la bataille de Stoke, et peut-être de sir Roger Robsart, qui embrassa vaillamment le parti de Henry VII, aïeul de la reine, et qui mit en déroute le comte de Lincoln, lord Géraldin, avec ses Irlandais, et les Flamands que la duchesse de Bourgogne avait envoyés au secours de Lambert Simnel.
– Je me rappelle tout cela, dit Gosling. On en chante la ballade douze fois par semaine dans ma grande salle. Sir Roger Robsart de Devon !… c’est en parlant de lui que les ménestrels chantent encore aujourd’hui :
De nos guerriers c’était la fleur
Au milieu du carnage.
Tel un roc brave la fureur
Des vents et de l’orage.
Oui, oui, je m’en souviens ; et j’ai aussi entendu parler de Martin Swart et des braves Allemands qu’il commandait, avec leurs justaucorps à festons, et leurs drôles de hauts-de-chausses, tout froncés avec des rubans. Il y a aussi une ballade sur Martin Swart, et je crois me la rappeler.
Martin Swart et ses soldats,
Sanglez, sanglez bien la selle.
Martin Swart et ses soldats,
Sanglez, sanglez bien la selle.
– Si vous chantez ainsi, mon bon hôte, vous éveillerez toute la maison, et nous aurons plus d’auditeurs que je ne voudrais avoir de confidens.
– Pardon, M. Tressilian, je m’oubliais. Mais c’est que lorsqu’une vieille ballade nous passe par la tête, à nous autres chevaliers du robinet, il faut qu’elle nous échappe.
– Mon aïeul, comme beaucoup d’autres habitans de Cornouailles, était attaché à
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