Kenilworth
malheureux vieillard en tant qu’il ne s’agira que de vous faire passer fidèlement les nouvelles. Vous pouvez donc compter sur moi ; mais, de votre côté, soyez discret et gardez bien mon secret, car si l’on savait que l’aubergiste de l’ Ours - Noir se mêle de pareilles affaires, adieu mes pratiques ! Varney aurait assez de crédit auprès des magistrats pour abattre mon enseigne, faire révoquer ma licence, et me ruiner de la cave au grenier.
– Ne doutez pas de ma discrétion, Gosling, ni de la reconnaissance que je conserverai du service que vous m’aurez rendu et du risque auquel vous vous serez exposé. Souvenez-vous bien de cette bague, et ne remettez ce que vous aurez à me transmettre qu’à celui qui vous la présentera. Maintenant, d’après votre avis prudent, je vais songer à mon départ.
– Suivez-moi, M. Tressilian, et marchez aussi légèrement que si vous aviez sous les pieds des œufs au lieu de planches. Il faut que personne ne sache ni quand ni comment vous êtes parti.
À l’aide de sa lanterne sourde, il conduisit Tressilian, dès qu’il fut habillé, par une petite cour où il avait placé son cheval dans une écurie qui ne servait que quand les écuries ordinaires étaient remplies. Il l’aida à attacher à la selle son porte-manteau, ouvrit la porte de derrière, lui serra la main, et lui ayant renouvelé la promesse de l’instruire de ce qui se passerait à Cumnor-Place, le laissa commencer son voyage solitaire.
CHAPITRE IX.
« C’est en ce lieu qu’il a placé sa forge :
« Son bras nerveux, avant le jour,
« Bat le fer chaud que soutient son enclume.
« De fumée un épais volume
« Rend plus obscur ce ténébreux séjour :
« Le feu pétille, et perce ce nuage. »
GAY.
Comme il avait été jugé prudent par Tressilian lui-même, aussi bien que par Giles Gosling, que notre voyageur évitât d’être vu dans les environs de Cumnor par ceux que le hasard aurait pu faire sortir de grand matin, l’aubergiste lui avait indiqué un itinéraire de sentiers et de chemins de traverse qu’il devait suivre avec exactitude pour rejoindre la grande route de Marlborough.
Mais, comme tant d’autres conseils, ces instructions étaient plus faciles à donner qu’à observer. Les fréquens détours du chemin, l’obscurité de la nuit, le peu de connaissance qu’il avait du pays, et ses tristes réflexions, retardèrent tellement Tressilian, que l’aurore le trouva seulement, quand elle parut, dans la vallée de White-Horse, endroit mémorable par une victoire remportée autrefois sur les Danois. Là il s’aperçut que son cheval était déferré d’un pied de devant, accident qui le menaçait de l’arrêter en rendant l’animal boiteux. Son premier soin fut de demander à deux paysans qui se rendaient à leurs travaux où il pourrait trouver un maréchal ; mais ces gens-là, soit stupidité, soit mauvaise grâce, ne lui firent que de courtes réponses qui ne lui apprirent rien. Voulant soulager son coursier autant qu’il le pouvait, il mit pied à terre, et le conduisit par la bride vers un hameau où il espérait qu’on lui indiquerait la demeure de l’ouvrier dont le secours lui était devenu indispensable. Il y arriva par un chemin étroit, plein de boue et d’ornières, et n’y vit que quelques misérables huttes, à la porte desquelles deux ou trois paysans, dont l’extérieur répondait à celui de leurs habitations, se disposaient à commencer leurs travaux. Une de ces chaumières paraissait pourtant en meilleur état que les autres, et la vieille femme qui en balayait la porte avait l’air moins repoussant que ses voisins. Tressilian s’approcha d’elle, et lui répéta la question qu’il avait déjà faite inutilement plusieurs fois.
– Un maréchal ! s’écria la vieille femme en le regardant avec une expression de physionomie singulière ; s’il y a ici un maréchal ! oui sûrement. Mais que lui voulez-vous ?
– Qu’il ferre mon cheval, ma bonne femme ; vous voyez qu’il a perdu un fer.
– Maître Holyday, s’écria-t-elle sans lui répondre ; maître Érasme Holyday ! venez, venez vite, s’il vous plaît, et parlez à monsieur.
– Favete linguis {30} , répondit une voix partant de l’intérieur ; je ne puis y aller maintenant, je suis dans le moment le plus intéressant de mes études du matin.
– Mais il faut que vous veniez, bon maître Holyday ; c’est un voyageur qui demande la
Weitere Kostenlose Bücher