Kommandos de femmes
à Genthin, au milieu de deux groupes importants de Russes et de Polonaises, et de deux petits noyaux de Yougoslaves et de Tchèques. Ces femmes travaillaient dur, beaucoup avaient enduré de nombreuses années de prison ou de camp, elles avaient besoin de soins médicaux et je n’avais rien : quelques pots de pommade, quelques pansements de papier, une poignée de cachets d’aspirine et cinq lits dans mon infirmerie. La déportée médecin qui m’avait précédée avait cru bien faire en constituant une liste de toutes celles trop malades ou trop fatiguées pour travailler à l’usine.
— Les Allemands aiment les choses « bien organisées » et avant d’accompagner ces femmes en « camp de convalescence », ils désiraient qu’elles subissent un examen radioscopique… Il n’y avait pas d’appareil à Genthin, en revanche l’infirmerie très moderne de l’usine en possédait un. Là, j’ai eu la chance, pendant à peu près cinq minutes, de me trouver seule dans une petite pièce pendant que les S.S. surveillaient les femmes qui passaient la scopie. J’ai vu rentrer un homme en civil, portant l’insigne du parti à la boutonnière, qui semblait très à l’aise dans ce bureau. Je ne sais pas ce qui m’a pris ; je lui ai dit : « Vous êtes médecin ici ? » Il m’a répondu : « Oui madame, » — « Vous êtes mon ennemi politique (j’ai désigné sa boutonnière – moi j’avais mon triangle rouge et il n’y avait pas d’équivoque). Vous êtes Allemand, je suis Française, mais nous sommes avant tout médecins. Je vous en prie, aidez-moi ! J’ai mille femmes à soigner et je n’ai rien – les mains vides – je n’ai ni médicaments ni matériel chirurgical. »
— Il a eu l’air un peu décontenancé que j’ose lui parler puis il m’a tendu la main et il a simplement dit : « Bien. » Trois ou quatre jours plus tard, l’infirmier que j’avais aperçu à l’usine – il se nommait Gassman – a trouvé un prétexte pour pénétrer dans notre camp : visite des toilettes, des douches… C’était inattendu. Nous étions sous la surveillance de la kommandante et de deux soldats S.S. Il s’est arrangé pour s’écarter, rester un peu à la traîne, me faire un signe : « Vite ! donnez-moi une liste de ce qui vous est nécessaire… Je viens de la part du médecin de l’usine. » Je suis retournée au revier, j’ai griffonné une liste des choses essentielles : tonicardiaques, vitamines, pansements, petits instruments de chirurgie… Quelques jours plus tard la kommandante du camp est arrivée avec un S.S. qui poussait une charrette pleine de caisses : « Ça c’est pour toi, pour tes malades. De la part du médecin de l’usine. »
— Il y avait vraiment un matériel merveilleux, enfin… tout est relatif. Dans un service chirurgical d’un grand hôpital on trouverait ça minable, mais quand on a les mains vides, voir arriver de quoi faire des pansements, de quoi faire les petites opérations, de quoi soigner les cardiaques ; et les vitamines, et le calcium… de plus, le lendemain, le médecin m’a fait porter un petit carnet : « Vous n’aurez qu’à inscrire toutes les semaines ce qui vous manque. » C’était trop beau !
— Un jour, on m’amène un cas sérieux. Une jeune fille avait été blessée aux deux yeux. Elle avait des éclats devant la pupille et si on ne lui enlevait pas ça immédiatement, elle risquait de perdre la vue. Je me suis trouvée devant ce problème aigu : il me fallait des instruments et, ce jour-là, la kommandante et son adjointe – les deux seules qui pouvaient donner des ordres – étaient à Berlin. Alors je me suis payée de culot. Moi, déportée, je suis allée à la porte du camp. J’ai tambouriné, tambouriné. Un des S.S. du poste de garde est venu m’ouvrir, m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai dit : « Ben prenez votre bicyclette, allez à l’infirmerie de l’usine et rapportez-moi d’urgence la trousse d’ophtalmologie. » Alors le gars me répond : « Mais vous ne pouvez pas me donner des ordres ! Je n’ai pas à vous obéir… La kommandante n’est pas là ! »
— « C’est bien parce qu’elle n’est pas là que je m’adresse à vous. J’ai une malade qui va devenir aveugle si vous n’y allez pas. Il le faut. C’est une urgence. Si vous n’y allez pas vous aurez des ennuis. »
— Il a pris sa bicyclette. Il est parti à travers la forêt
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