La 25ème Heure
quelque part derrière le front.
Traian comprit que c’était la fin et s’agenouilla au pied du lit. Puis il se mit à sangloter.
Iohann Moritz se leva et demanda :
– Dois-je appeler le docteur ?
Traian ne répondit pas. Il continuait à serrer les mains de son père entre les siennes et il pleurait avec un désespoir qu’il ne lui avait jamais été donné de connaître.
Iohann Moritz comprit, lui aussi. Il se découvrit, s’agenouilla à côté de Traian et se signa.
Quelques instants après, Iohann Moritz se mit debout, les prisonniers s’étaient rassemblés tout autour. Ils étaient venus des tentes voisines. De toutes les tentes.
Iohann Moritz se fraya un chemin à travers la foule de prisonniers qui s’étaient découverts et demeuraient debout et silencieux. Il revint sitôt après et mit près de la tête du mort une bougie faite avec la paraffine ramassée sur le carton des boîtes de chocolat. Il alluma la bougie et la mit près de la tête du prêtre Koruga dans une boîte à conserves vide, en guise de bougeoir.
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L e P. W. médecin du camp, suivi de deux infirmiers munis de brancards, entra sous la tente où le prêtre Koruga venait de mourir.
– Que voulez-vous ? demanda Traian.
– Emporter le cadavre. Nous ne pouvons pas laisser de cadavres sous les tentes, répondit le docteur.
– Où voulez-vous l’emmener ?
– Hors du camp, dit le docteur. Mais nous ne savons pas où. Nous devons aviser les autorités supérieures, pour que les Américains viennent le chercher en voiture.
– J’ai tout de même le droit de savoir où vous allez mettre le corps de mon père.
– Il y a beaucoup de choses que nous voudrions savoir, mais cela est impossible, répliqua le docteur durement.
Les deux infirmiers s’approchèrent du lit et voulurent mettre le corps du prêtre sur un brancard. Le docteur les arrêta d’un geste.
– Je dois d’abord constater le décès, dit le docteur. Peut-être vit-il encore.
Il prit la main du prêtre et la garda un moment dans les siennes. Puis il se pencha et mit son oreille contre la poitrine du vieillard.
– Vous pouvez le prendre, ordonna-t-il aux deux infirmiers.
– Non ! cria Traian.
– À quoi bon vous opposer ? dit le docteur. Nous ne sommes que de simples prisonniers comme vous et nous ne pouvons qu’obéir.
– Je veux savoir d’abord où vous emporterez le corps de mon père. C’est le moins que je puisse demander puisque je n’ai pas le droit d’assister à son enterrement. Je veux être sûr qu’il sera enterré chrétiennement. Même en tant que prisonnier, j’ai le droit de le savoir. Au moment où il est mort, mon père a cessé d’être prisonnier, et il a droit au respect dû aux morts, à tous les morts, quels qu’ils soient !
Qui vous a dit que les morts n’étaient pas respectés ? dit le docteur.
– Je n’ai pas dit cela, dit Traian. Mais mon père est prêtre orthodoxe et je veux qu’il soit enterré avec le cérémonial de l’Église à laquelle il appartient.
– Demandez-le demain par écrit au commandement américain.
– Pouvez-vous me garantir que demain il ne sera pas trop tard ?
– Je ne garantis rien du tout, dit le docteur. Je suis prisonnier, moi aussi, tout comme vous.
– Alors le corps de mon père demeurera ici. Je veux, avant de me séparer de lui, avoir la certitude qu’il sera enterré avec le rituel de l’Église orthodoxe.
– Vous vous opposez en vain, dit le docteur.
– Peut-être. Mais je m’y oppose quand même.
– Nous devons emporter le cadavre. Nous avons reçu l’ordre de ne pas laisser de cadavres dans le camp.
– Vous pouvez l’emporter de force, dit Traian. Mais vous le regretterez.
Les infirmiers attrapèrent Traian par les bras et l’écartèrent brutalement du lit. Le corps du prêtre fut transporté sur le brancard. Traian se débattait entre les mains de ceux qui l’avaient immobilisé. Lorsque le brancard passa près de lui, il ne put apercevoir que le front de son père, ce front haut, net et clair comme la lune.
Iohann Moritz marchait derrière les infirmiers, tête nue, tenant entre ses mains la boîte de fer-blanc dans laquelle brûlait encore la bougie.
– C’est un péché que vous paierez cher. Il y a des actes qui ne pardonnent pas. N’oubliez jamais, docteur, que vous m’avez interdit d’accompagner le corps de mon père jusqu’à la porte du camp.
– Ce n’est pas moi qui
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