La 25ème Heure
soient de lui ou d’un autre. Ces vers sont beaux. C’est tout. Le reste n’a pas grande importance.
– Mais si, cela a de l’importance, répliqua l’officier. Je suis content que l’auteur soit un Chinois. La Chine est une nation alliée des États-Unis. Ma famille sera enchantée de recevoir ces vers. S’ils avaient été composés par un poète ennemi, je n’aurais pas pu les envoyer. Transcrivez-les-moi pour demain matin. Je vous passerai du papier et un crayon. Vous avez appris quelque chose d’autre, en dehors de la théologie ?
– J’ai appris tout ce que la vie m’a laissé le temps d’apprendre – et tout ce qu’il m’a plu d’apprendre.
– Connaissez-vous le chinois ?
– Non.
– C’est dommage, dit l’officier. Je vous aurais demandé de m’écrire ce poème en caractères chinois. C’eût été une grande surprise pour ma famille, qui ne s’attend sûrement pas à recevoir de ma part des lettres en chinois. Mais cela ne fait rien. Si vous né connaissez pas le chinois, écrivez-le en anglais. Le Chinois qui a écrit ces vers a de l’humour. Et puis c’est un allié des Nations Unies.
En revenant au camp, le prêtre était brisé de fatigue.
Iohann Moritz l’étendit sur le lit et lui mit des compresses froides sur le front.
– Est-ce qu’il vous a parlé de votre mise en liberté, père ?
– Non, dit le vieillard.
– Mais alors, que vous a-t-il demandé ?
– Il m’a demandé de lui transcrire un poème de Lao Tzé. Il aurait voulu l’avoir en chinois et il a énormément regretté que je ne sache ni lire, ni écrire le chinois.
– Et c’est à cela que s’est borné tout l’interrogatoire ? Le prêtre fit : " Oui " de la tête.
143
Traian Koruga reçut une lettre de Nora.
– Je savais bien que Nora avait été arrêtée, dit Traian en serrant entre ses mains l’enveloppe marquée : Prisoner of war. Mais je gardais l’espoir qu’elle avait été relâchée entre-temps. Maintenant, il n’y a plus à se faire d’illusion. Elle est enfermée comme nous, dans un camp comme le nôtre et souffre comme nous. Elle est soumise au même traitement que le nôtre. Elle est transpor tée d’un camp à l’autre, comme nous. Elle est gardée, tout comme nous, derrière les barbelés par des Polonais armés, eux aussi, de mitraillettes. Tout mon être refuse d’en supporter davantage.
Nora ne connaissait pas l’adresse de Traian lorsqu’elle lui avait écrit. Elle avait mis sur l’enveloppe le nom de Traian et les numéros de tous les camps de la zone américaine. Pour arriver entre les mains de Traian, la lettre avait dû passer de camp en camp.
– Ils ne lui ont pas dit où je me trouvais, dit Traian. Et ils ont refusé de me dire le nom de son camp.
Le prêtre essaya de le consoler. Il était étendu sur le lit avec des compresses sur le front. Iohann Moritz se tenait près de lui. Traian demeura sourd à toutes les paroles de consolation.
– Toute souffrance a une limite, dit Traian, en se mettant debout. Moi j’estime l’avoir atteinte. Aucun être humain ne saurait dépasser cette limite et demeurer encore en vie.
Traian Koruga sortit de la tente.
– M. Traian va se tuer, dit Moritz effrayé.
Le prêtre gardait les yeux fermés. Il n’entendait pas les paroles de Moritz. Il priait. Il ne priait pas seulement pour Traian et Nora. Il priait aussi pour Moritz et pour tous les hommes que cette Société technique occidentale avait poussés à une limite que nul être ne saurait franchir tout en restant en vie.
– M. Traian va se tuer si je le laisse seul, dit Moritz.
Le prêtre ouvrit les yeux. Il toucha la main de Iohann Moritz et le laissa partir.
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– Donne-moi ta main, je t’en prie, dit le prêtre Koruga.
Il demeurait étendu, les yeux entrouverts. Son front était blême. Le sang avait quitté ses joues. Le vieillard prit la main de Traian et la garda entre les siennes sans dire un mot. La chaleur des deux mains s’était confondue. Le sang semblait passer de l’une à l’autre. Ils se sentaient proches, comme seuls un père et un fils peuvent l’être. Les battements de leurs cœurs se répondaient. Mais ceux du prêtre se faisaient de plus en plus faibles.
Iohann Moritz voulut changer la compresse. Le malade lui fit signe que cela n’était plus nécessaire. Et il sourit.
Moritz s’assit sur le bord du lit.
– En ce moment, je n’ai pas
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