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La 25ème Heure

La 25ème Heure

Titel: La 25ème Heure Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Virgil Gheorghiu
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l’impression de réchauffer mes mains à la chaleur d’un homme, mais à celle du feu même de la vie, dit le prêtre. Tu es brûlant comme seule la vie sait l’être.
    Traian serra les mains de son père. Elles étaient froides mais le prêtre souriait.
    – J’ai fait deux grands rêves ici-bas, dit le prêtre ; être prêtre en Amérique et, après ma mort, être enterré dans le cimetière de Fântâna. Tu le connais, Traian ? C’est un cimetière sans murs, sans barrières – couvert de fleurs et d’herbes sauvages.
    " Ce cimetière ressemble à une prairie. C’est là que j’aurais le mieux aimé me trouver, pour bien contempler mon voyage dans l’éternité. Ces deux désirs ont été réalisés, mais d’une drôle de façon. Je ne suis jamais allé en Amérique, mais l’Amérique est venue vers moi. Je vais mourir dans cette prison sur laquelle flotte la bannière étoilée des États-Unis.
    " Je ne serai pas non plus enterré dans le cimetière de Fântâna. Mais le cimetière de Fântâna est devenu plus grand que Fântâna, il a envahi toute l’Europe.
    " Fântâna, et la Roumanie, et toute l’Europe ne sont plus aujourd’hui qu’une grande tache noire sur la carte du monde. Comme une tache d’encre. Tout le continent est silencieux et sans joie. Les joies l’ont quitté comme elles ont quitté le cimetière de Fântâna. Et bientôt, la terre sera recouverte de fleurs et d’herbes sauvages, comme l’est notre cimetière. Qu’importe l’endroit de notre continent où l’on m’enterrera. Je me sentirai partout comme dans le cimetière sans barrières de notre petit village.
    – Pourquoi me dire tout cela ? demanda Traian. Vous feriez mieux de vous reposer.
    – Tu as raison, dit le prêtre Koruga. Mais je voudrais te dire encore quelque chose. Sache, Traian, que " la vie n’a jamais de but objectif, à moins qu’on ne désigne ainsi la mort : tout but réel et véritable est subjectif. "
    " La Société technique occidentale veut offrir à la vie un but objectif. C’est le meilleur moyen de l’anéantir.
    Ils ont réduit la vie à une statistique. Mais : " Toute statistique laisse échapper le cas unique en son genre, et plus l’humanité évolue, plus ce sera, précisément l’unicité de chaque individu et de chaque cas particulier qui comptera. "
    " La Société technique progresse exactement dans le sens inverse : elle généralise tout. " C’est à force de généraliser et de chercher, ou de placer toutes les valeurs dans ce qui est général, que l’humanité occidentale a perdu tout sens pour les valeurs de l’unique, et partant de l’existence individuelle. D’où l’immense danger du collectivisme, qu’on le comprenne à la russe ou à l’américaine 3 . "
    " Et c’est à cause de cela même, que nous pouvons avoir la certitude que cette Société s’écroulera. Tu en parlais d’ailleurs, toi-même, certain soir à Fântâna. La Société de la civilisation technique est devenue incompatible avec la vie de l’individu. Elle étouffe l’homme. Et les hommes meurent de la même mort que les lapins blancs de ton roman. Nous mourrons tous asphyxiés par l’atmosphère toxique de cette Société où ne peuvent se mouvoir que les Esclaves techniques, les Machines et les Citoyens, exactement comme tu voulais le raconter dans ton livre. Les hommes pèchent ainsi gravement et sont coupables envers Dieu.
    " De toute notre force, nous agissons contre notre propre bien, et surtout contre Dieu. C’est le dernier degré de déchéance jamais atteint par une Société humaine. Et cette Société périra comme ont péri jusqu’à présent tant et tant de Sociétés au cours de l’histoire, et avant même que l’histoire commence.
    " Les hommes essaient de sauver cette Société par un ordre logique, alors que c’est cet ordre même qui la tue.
    " Voilà le crime de la Société technique occidentale. Elle tue l’homme vivant – le sacrifiant à la théorie, à l’abstraction, au plan. C’est là, la forme moderne du sacrifice humain. Le bûcher et les autodafés ont été remplacés par le bureau et la statistique – les deux mythes sociaux actuels dans les flammes desquels est consommé le sacrifice humain.
    " La démocratie, par exemple, est une forme d’organisation sociale nettement supérieure au totalitarisme, mais elle ne représente que la dimension sociale de la vie humaine. Arriver à confondre la démocratie avec le sens même de la vie,

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