La Bataille
devait y
avoir un marché, là des écuries, là un grenier. Tiens, se dit-il, si je
visitais les greniers ? Ils n’ont pas dû tout emporter. À cet instant un
éclat de soleil frappa son casque et son œil. Il leva la tête vers le deuxième
étage d’une maison blanche. Était-ce un rayon réfléchi par les carreaux, ou
quelqu’un de caché qui aurait poussé une fenêtre ? Rien ne remuait. Il
confia son cheval à l’un de ses acolytes et tenta d’ouvrir la porte en bois
avec l’autre. La porte était verrouillée. Il donna en vain un fort coup de pied
dans la serrure, qui résista, puis retourna chercher son pistolet dans ses fontes
pour éclater la serrure grossière.
— Pas discret, dit l’autre cuirassier qui s’appelait
Pacotte.
— S’il y a des gens, ils nous ont vus. S’il n’y a qu’un
chat ou une chouette, on s’en fiche !
— Ouais, on en f’ra un civet.
Ils entrèrent dans la maison, sur leurs gardes, le pistolet
armé dans un poing, le sabre dans l’autre. Fayolle poussa les volets de
l’épaule pour y voir clair. La pièce était peu meublée, une table épaisse, deux
chaises de paille, un coffre à bois ouvert et vide, des cendres dans la cheminée.
Les cendres étaient froides. Un escalier en raidillon grimpait aux étages.
— On y va ? demanda Fayolle au cuirassier Pacotte.
— Si ça t’amuse.
— Tu entends ?
— Non.
Fayolle ne faisait plus un geste. Il avait perçu un
grincement de porte ou de plancher.
— C’est l’vent, dit Pacotte mais à voix plus basse. Je
vois pas qui aurait eu l’idée de rester dans c’piège à rats.
— Peut-être un rat, justement, dit Fayolle. On va
vérifier…
Il posa le pied sur la première marche, hésitait, l’oreille tendue.
Pacotte le poussa, ils montèrent. En haut, dans la pièce sombre, on ne
distinguait que la forme vague d’un lit. À tâtons, Fayolle longea le mur
jusqu’à trouver sous ses doigts la fenêtre, qu’il brisa d’un coup de coude et
dont il ouvrit le volet sans lâcher son sabre. Il se retourna. Son compagnon
était au sommet de l’escalier. Ils étaient seuls. Pacotte tira une porte basse
et Fayolle, en se baissant, pénétra dans la chambre voisine où une forme lui
sauta dessus. Il se débattit, entendit la lame d’un couteau crisser sur le
métal de sa ventrière après avoir déchiré son manteau brun ; il étira les
bras en envoyant son agresseur bouler contre le mur ; dans la
demi-obscurité, il le transperça d’un violent coup de sabre à la hauteur du
ventre ; s’il voyait mal, il sentait maintenant le sang chaud lui poisser
la main qui maintenait l’arme dans un corps secoué de spasmes ; puis il
ôta le sabre d’un mouvement brusque et son ennemi tomba au sol. Le cuirassier
Pacotte s’était précipité et il avait ouvert la fenêtre pour éclairer la
scène : un gros homme chauve, en culottes de peau, agonisait en râlant par
terre, du sang lui arrivait aux lèvres par flots, ses yeux blancs ressemblaient
à des œufs durs épluchés.
— Pas vilains, ses brodequins, hein, Fayolle ?
— La veste aussi, un peu courte, mais ce porc l’a
salie !
— Moi j’veux les bretelles. Du velours, dis donc…
Et il s’accroupit pour s’en emparer, mais aussitôt ils
sursautèrent. Quelqu’un derrière eux venait d’étouffer un cri. C’était une
jeune paysanne en jupon court et plissé, tassée dans un angle, derrière un
montant de lit. Elle se tenait la bouche des deux mains, ouvrait des yeux
immenses et noirs. Le cuirassier Pacotte mit la fille en joue mais Fayolle lui
baissa le bras :
— Arrête, idiot ! Pas la peine de la tuer, enfin,
pas tout d’suite.
Il s’approche. Son épée dégouline de sang. L’Autrichienne se
recroqueville. Fayolle lui pose la pointe du sabre sous le menton et lui
ordonne de se lever. Elle ne bouge pas. Elle tremble.
— Elle comprend qu’son patois, Fayolle. Faut l’aider.
Pacotte lui attrape le bras pour la dresser contre le mur où
elle s’appuie en flageolant. Les deux soldats la regardent. Pacotte siffle
d’admiration parce qu’elle est charnue à son goût. Fayolle tourne son sabre et
en essuie le revers au corset bleu de la jeune paysanne, puis du tranchant il
fait sauter les boutons d’argent, déchire la guimpe de dentelle ; ensuite,
d’un geste rapide, il ôte le bonnet de drap. Les cheveux de l’Autrichienne
coulent sur ses épaules, ils ont des reflets mordorés comme de la soie
indienne,
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