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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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nettoyaient, balayaient, disposaient les meubles apportés en
fourgons du château voisin d’Ebersdorf, où l’Empereur avait passé la nuit. Des
cuisiniers déballaient leurs casseroles et leurs broches, l’obligatoire
parmesan que Sa Majesté mangeait avec tout, ses macaronis préférés, son
chambertin. Deux laquais montaient le lit de fer. Les chambellans surveillaient
et activaient les préparatifs :
    — Dépêchez-vous !
    — La vaisselle ! Des chandeliers !
    — Le tapis, ici, en haut de l’escalier !
    — Désolé, Monsieur le maréchal, mais c’est la maison de
l’Empereur !
    Le maréchal Lannes était moins stylé, bien plus grand et
bien plus fort que ce chambellan qui lui interdisait le passage ; il
l’attrapa aux revers argentés de son habit et le poussa devant lui avec
vigueur. Constant arriva en entendant glapir le domestique et gronder le
maréchal, dont il connaissait la grosse voix. Il fallut céder au sans-gêne, et
Lannes s’installa au rez-de-chaussée dans une salle basse garnie de paille. Il
s’attribua même un bougeoir, une chaise et un bureau sur lequel il jeta son
sabre et son bicorne chargé de plumes. Lannes était célèbre pour les colères
qu’il contenait mais qui lui montaient le rouge au visage ; sinon il avait
une mine paisible, des traits carrés, le cheveu clair aux mèches courtes et
ondulées. À quarante ans, il n’avait pas encore de ventre et se tenait droit, à
cause d’une raideur dans le cou, une blessure reçue à Saint-Jean-d’Acre… Il
s’en souvenait quand cette vieille douleur lui faisait porter une main à la
nuque… C’était au douzième assaut contre la citadelle ; il avait escaladé
les enceintes au pas de charge avec ses grenadiers. Son ami le général Rambaud
était presque arrivé au sérail de Djezzar-Pacha mais il n’avait pas reçu les
renforts désirés ; il s’était barricadé dans une mosquée avec ses hommes.
Lannes revoyait les fossés comblés par les cadavres des Turcs. Le général
Rambaud avait été tué. Lui, touché à la tête, on l’avait cru mort. Le lendemain
il remontait en selle et entraînait ses soldats dans les collines de Galilée…
    Le maréchal était fatigué par quinze ans de combats et de
dangers. Il venait de conduire l’affreux siège de Saragosse. Riche, marié à la
plus belle et à la plus discrète des duchesses de la cour, fille d’un sénateur,
il aurait voulu se retirer en famille dans sa Gascogne, voir grandir ses deux
fils. Il était las de partir sans jamais savoir s’il reviendrait autrement que
dans une caisse. Pourquoi l’Empereur lui refusait-il cette tranquillité ?
Comme lui, la plupart des maréchaux n’aspiraient qu’à la paix des champs. Ces
aventuriers, avec le temps, devenaient bourgeois. À Savigny, Davout
construisait des huttes en osier pour ses perdreaux et à quatre pattes il leur
donnait du pain ; Ney et Marmont adoraient jardiner ; MacDonald,
Oudinot, ne se trouvaient à l’aise qu’entourés de leurs villageois ;
Bessières chassait sur ses terres de Grignon s’il ne jouait pas avec ses
enfants. Quant à Masséna, il disait de sa propriété de Rueil, qui regardait la
Malmaison proche où se retirait l’Empereur : « D’ici, je peux lui
pisser dessus ! » Sur un ordre, ils étaient venus en Autriche, à la
tête de troupes disparates et jeunes, qu’aucun motif puissant ne poussait à
tuer. L’Empire déclinait déjà et n’avait que cinq ans. Ils le sentaient. Ils
suivaient encore.
    Lannes passait vite de la colère à l’affection. Un jour il
écrivait à sa femme que l’Empereur était son pire ennemi : « Il
n’aime que par boutade, quand il a besoin de vous » ; puis Napoléon
le comblait de faveurs et ils se tombaient dans les bras. Leurs sorts restaient
liés. Il y avait peu, dans les escarpements difficiles d’une sierra espagnole,
l’Empereur s’était cramponné à son bras. À pied, dans la neige qui les giflait
en tempête, avec leurs hautes bottes en cuir, ils dérapaient. Ensemble ils
avaient enfourché la volée d’un canon, et des grenadiers les avaient hissés
comme sur un traîneau au sommet du col de Guadarrama. Des souvenirs émus se
mêlaient aux cauchemars. Lannes regrettait quelquefois de n’être pas devenu
teinturier. Il s’était enrôlé tôt. Il s’était fait remarquer par ses témérités
dans l’armée des Alpes, sous les ordres d’Augereau, au tout début de
l’aventure… Affalé dans la

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