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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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paille, il songeait à cent épisodes contradictoires
de sa vie, lorsque Berthier entra dans la pièce :
    — Quand il y a du tapage, c’est toi.
    — Tu as raison, Alexandre, colle-moi aux arrêts que je puisse
dormir en paix !
    — Sa Majesté te confie la cavalerie.
    — Et Bessières ?
    — Il devient ton subordonné.
    Lannes et Bessières se détestaient autant que Berthier et
Davout. Le maréchal sourit et changea d’humeur :
    — Qu’il attaque, l’Archiduc ! On va le recevoir au
sabre !
    À cet instant, essoufflés, Périgord et Lejeune vinrent
annoncer au major général :
    — Le petit pont vient de rompre !
    — Nous sommes coupés de la rive gauche. Les trois
quarts des troupes sont bloqués sur l’île.
     
    La lune, dans son dernier quartier, éclairait faiblement la
longue rue d’Essling, mais sous les arbres du chemin qui menait au grenier
public, sur la place ou à l’orée des champs, l’Empereur avait autorisé les feux
des bivouacs : l’ennemi devait savoir que la Grande Armée avait franchi le
Danube, cela devait l’inciter à attaquer selon le plan prévu, même si
l’archiduc Charles était connu pour sa timidité dans l’offensive. Aussi, cela
flambait de tous côtés. Les cantinières versaient des gobelets d’eau-de-vie à
ras bord et prenaient des claques sur leurs fesses rondes, on entonnait des
couplets vulgaires, on avalait les rations à grosses cuillerées, on plaisantait
pour se donner du cœur avant la bataille certaine du lendemain. Les hommes
avaient détaché leurs cuirasses et posé leurs casques à crinière qui
réfléchissaient le rouge des foyers. Ils s’apprêtaient à dormir sous les
étoiles, comme leurs chevaux, protégés par quelques sentinelles qui scrutaient
la plaine sans rien y voir, souvent un peu ivres. Certains avaient découvert de
la farine, une bouteille, un canard, bien peu de chose puisque les villageois
avaient presque tout emporté, leur basse-cour, leurs tonneaux, leur grain. Les
cuirassiers occupaient seuls le village. Masséna avait regagné Aspern avant la
tombée du jour, près du petit pont cassé par les flots et que les sapeurs
réparaient au flambeau, dans l’eau glacée et remuante qui les éclaboussait et
leur gelait les doigts.
    Autour du général Espagne, les officiers s’étaient réfugiés
pour la nuit dans l’église d’Essling ; la balustrade de bois peint qui
partageait la nef servait à nourrir des braseros qui enfumaient et traçaient
sur les murs des silhouettes infernales. Dans son manteau, debout, Espagne
demeurait en retrait, accoudé à l’autel, et les formes qui tremblaient sur la
pierre au gré des flammes ne le rassuraient pas. Il avait des pressentiments
depuis plusieurs semaines. Il n’aimait pas cette campagne. Sans crainte mais
comme en sursis, il se taisait en songeant à la mort. Ses cuirassiers
connaissaient les superstitions qui affolaient leur général, même s’il n’en
laissait jamais rien paraître sur sa mine grave. Chacun respectait son silence.
Chacun se répétait son histoire étrange…
    Les soldats Fayolle et Pacotte avaient mangé dans la même
gamelle une soupe épaisse et mal définie, mais qui tenait au ventre. Ils
causaient justement de leur général. Pacotte ne savait rien, trop récent dans
le régiment ; Fayolle, lui, était au courant :
    — C’était au château de Bayreuth. On arrive tard, il
est fatigué, il se couche. J’étais pas loin, dans le grand escalier, avec les
autres, et voilà qu’au milieu de la nuit on entend crier.
    — On a essayé de tuer le général ?
    — Attends ! Ça venait de sa chambre, en effet, et
les officiers d’ordonnance accourent, moi je les suis avec les factionnaires.
La porte est fermée de l’intérieur. On la casse en se servant d’un canapé comme
bélier, on entre…
    — Et alors ?
    — Attends ! Qu’est-ce qu’on voit ?
    — Qu’est-ce que tu vois ?
    — Le lit était au milieu de la pièce, renversé, avec le
général en dessous.
    — Et il crie.
    — Non, il est évanoui. Vite, notre médecin lui fait une
saignée, on l’observe, il ouvre les yeux, terrifié, puis il nous regarde, il
est pâle, on doit lui donner une poudre calmante. Alors il a dit, tiens-toi
bien, Pacotte, il a dit : « J’ai vu un spectre qui voulait
m’égorger ! »
    — Oh ?
    — Ris pas, imbécile. C’est en luttant contre ce spectre
que le lit s’est renversé.
    — T’y crois ?
    — On lui demande

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