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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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de décrire son fantôme, ce qu’il fait
avec précision, et tu sais ce que c’était, hein ? Non tu sais pas. Je vais
te l’dire, moi. C’était la Dame blanche des Habsbourg !
    — Qui c’est ?
    — Elle apparaît dans les palais viennois quand un
prince de la maison d’Autriche doit mourir. Elle était déjà venue trois ans
plus tôt, à Bayreuth. Le prince Louis de Prusse s’est battu avec elle comme
notre général.
    — Et il en est mort ?
    — Ouais môssieur ! Près de Saalfeld, la gorge
percée par un hussard. Le général, il était blême, il a dit tout bas :
« Son apparition annonce ma mort prochaine », et il est allé dormir ailleurs.
    — T’y crois, à ces sornettes ?
    — On verra demain.
    — Donc, toi, Fayolle, t’y crois !
    — Ça va ! J’te dis d’attendre pour être sûrs.
    — Et si le général est tué ?
    — Et nous, alors ?
    — Nous, ça s’rait de la malchance…
    La mésaventure laissait le soldat Pacotte très sceptique.
Dans son bourg de Ménilmontant, on ne croyait pas trop à ce style de fadaises.
Apprenti menuisier quand on l’avait recruté, il avait l’habitude des choses
concrètes, tourner un pied de table, clouer des planches et gaspiller sa paie
dans les guinguettes. Il tapa dans le dos de Fayolle que cette histoire
impressionnait :
    — Faut s’changer les idées, mon vieux. Si on allait
saluer notre Autrichienne ? Elle nous attend. Ligotée comme elle est, j’la
vois pas changée en fantôme !
    — Tu t’souviens de l’endroit ?
    — On va trouver. Le village, il a qu’une rue.
    Ils décrochèrent la lanterne d’une charrette et s’en
allèrent dans Essling, où les maisons se ressemblaient toutes. Ils se
trompèrent deux fois. « Quelle peste ! grognait Fayolle. On r’trouvera
jamais ! » Plus loin, Pacotte reconnut à la lanterne le corps de leur
assaillant que personne n’avait enterré. Ils se regardèrent avec un sourire et
poussèrent la porte. Pacotte manqua une marche et la bougie de leur lanterne
s’éteignit.
    — Gros malin, va ! dit Fayolle, et il s’enroula
une main dans sa cape pour ôter le verre brûlant, tandis que Pacotte battait
son briquet. Enfin à l’étage, ils marchèrent jusqu’à la pièce du fond où la
fille n’avait pas bougé.
    — Comment on dit bonjour ma belle en allemand ?
demanda Pacotte.
    — J’en sais rien, dit Fayolle.
    — Elle dort drôlement bien…
    Ils posèrent la lanterne sur un tabouret à trois pieds, et
Fayolle, avec son sabre, trancha les liens. Le cuirassier Pacotte, en enlevant
le bâillon, empocha les bretelles de velours qui l’attachaient dans le cou,
puis il se pencha et il embrassa leur prisonnière à pleine bouche. Il sauta en
arrière :
    — Peste !
    — Tu sais pas la réveiller ? demanda Fayolle,
rigolard.
    — Elle est morte !
    Pacotte cracha par terre avant de s’essuyer la bouche avec
sa manche.
    — Pourtant elle a même pas les pieds froids,
not’poupée, continuait Fayolle en tâtant la fille.
    — Touche pas, ça porte malheur !
    — Tu crois pas à mes fantômes, mais là, tu claques des
dents ? Pousse-toi, mauviette.
    — J’reste pas là.
    — Eh ben va-t’en ! Laisse-moi la lanterne.
    — J’reste pas là, Fayolle, ça se fait pas, tout ça…
    — Tu parles d’un guerrier ! se moqua Fayolle en
dégrafant sa ceinture.
    Pacotte dégringola l’escalier dans le noir. Dehors, il
s’adossa au mur de la maison. Il respira plusieurs fois à fond. Il se sentait
mal. Ses jambes picotaient.
    Il n’osait imaginer son complice qui besognait cette pauvre
paysanne, morte étouffée par le bâillon que lui, Pacotte, avait dû nouer trop
serré. Il avait l’air fanfaron, mais il n’avait jamais eu envie de tuer. À la
bataille, bon, pas moyen de s’en sortir autrement, mais là ?
    De longues minutes passèrent.
    Là-bas, près de l’église, des soldats chantaient.
    Fayolle sortit à son tour. Ils n’échangèrent pas un mot à propos
de l’Autrichienne mais Pacotte demanda :
    — Passe-moi la lumière, j’vais vomir.
    — T’as pas besoin d’y voir, moi si.
    — Voir quoi ?
    — Mes nouvelles grolles.
    Il désigna le corps étendu dans la courette :
    — C’est l’moment de soulager ce bonhomme de ses brodequins.
J’en ai plus besoin que lui, non ?
    Fayolle s’accroupit et posa la lanterne au sol. Il défit ses
éperons pour les essayer sur les souliers du cadavre et pesta : impossible
de les

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