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La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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dans une clairière au centre de
l’île, les officiers de l’état-major et leur personnel se détendaient sur le
gazon. Dans des petites boîtes ouvragées, beaucoup d’entre eux portaient des
bagues, des portraits miniatures, une mèche des cheveux de leur maîtresse, dont
ils vantaient les mérites pour oublier le présent. Quelques-uns reprenaient en
chœur des refrains nostalgiques :
     
    Vous me
quittez pour aller à la gloire
    Mon tendre
cœur suivra partout vos pas…
     
    Lejeune se taisait, assis sous un orme. Tandis que son
ordonnance, à quatre pattes, soufflait sur les braises d’un feu de branches,
Vincent Paradis dépouillait deux lièvres qu’il avait assommés avec sa fronde.
Inspiré par cette nuit champêtre, ce calme, cette verdure, Périgord achevait de
disserter sur Jean-Jacques Rousseau :
    — Dormir dans l’herbe et sous les étoiles, en été,
soit, mais pas trop souvent. Il y a des fourmis. Et puis les oiseaux vous
réveillent à l’aube de leur vacarme. On est mieux dans des draps, fenêtre bien
close, en compagnie de préférence, je suis un peu frileux.
    Puis il s’adressa à Paradis :
    — Garde-moi les peaux, mon garçon. Ce sera
excellentissime pour frotter mes bottes… Des lapins ! Chaque fois que je
vois ces bestioles je repense à la chasse ratée de Grosbois ! Est-il sot,
notre major général !
    — Maladroit peut-être, corrigea Lejeune assez
contrarié, mais pas sot. N’exagérez pas, Edmond. Et puis nous n’étions même pas
à cette partie de chasse.
    — De quoi parlez-vous ? demanda un colonel des
hussards qui se délectait par avance du ragot.
    — De cette journée où, pour flatter l’Empereur…
    — Pour lui être agréable, rectifia Lejeune.
    — C’est la même chose, Louis-François !
    — Non.
    — Le maréchal, pour flatter Sa Majesté… répéta le
hussard qui encourageait le médisant Périgord.
    — Le maréchal Berthier, reprit celui-ci, avait offert à
l’Empereur une chasse aux lapins sur ses terres de Grosbois. Or, s’il y avait
du gibier, il n’y avait pas un lapin. Que fait le maréchal ? Il en
commande mille. Le jour venu, on lâche les lapins, mais au lieu de filer pour
échapper aux fusils, ces bêtes courent vers les invités, leur font la fête, se
glissent entre les bottes, pas sauvages pour un sou, et manquent même faire trébucher
Sa Majesté. Le maréchal avait oublié de préciser qu’il voulait des garennes, on
lui avait livré des lapins de choux : en voyant tout ce monde, ils avaient
cru qu’on leur apportait à manger !
    Périgord en pleurait de rire, et le hussard aussi. Lejeune
s’était levé avant la fin de cette histoire qu’il avait trop souvent entendue
et qui ne l’amusait plus. Aux yeux de tous, Berthier passait pour un crétin et
cela l’affectait ; il lui devait son grade et son rôle. Jeune sergent
d’infanterie en Hollande, puis officier du génie grâce à ses talents, Berthier
l’avait remarqué et emmené avec lui comme aide de camp. Sa première mission,
Lejeune s’en souvenait, avait été de convoyer des sacs d’or à des curés du
Valais qui devaient aider à traîner l’artillerie au-delà des Alpes… Ensuite,
Lejeune avait partout suivi le maréchal ; il connaissait sa valeur et son
passé, ses combats aux côtés des insurgés d’Amérique, à New York, à Yorktown,
sa rencontre à Potsdam avec Frédéric II, son attachement dès la guerre
d’Italie au jeune général Bonaparte dont il devinait le destin, puis à ce
Napoléon auquel il servait tour à tour d’homme de confiance, de confident, de
nourrice et de souffre-douleur. Depuis des semaines, Davout et Masséna
faisaient courir des bruits injustes contre lui. Au début de cette campagne
d’Autriche, c’est vrai, Berthier menait seul les opérations en se fiant aux
dépêches que lui envoyait l’Empereur de Paris, mais souvent ces directives
arrivaient tard, et sur le terrain la situation évoluait vite, d’où quelques
manœuvres dangereuses qui avaient failli conduire les armées au désastre.
L’Empereur laissait accuser Berthier, et l’autre ne cherchait jamais à se
justifier, comme ce jour, à Rueil, où l’Empereur tirant au hasard dans un vol
de perdreaux ne réussit qu’à éborgner Masséna. Il se tourna vers le fidèle
Berthier :
    — Vous venez de blesser Masséna !
    — Pas du tout, Sire, c’est vous.
    — Moi ? Tout le monde vous a vu tirer de
travers !
    — Mais,

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