Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Bataille

La Bataille

Titel: La Bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
si
elle n’entendait pas le sens exact du français, ses tonalités apaisantes
réconfortaient un peu la jeune fille, pas trop, parce que dans la voix d’Henri
manquait cet accent de sincérité qu’on ne peut contrefaire. Il avait avalé les
potions dégoûtantes du docteur Carino et ses fièvres lui laissaient un répit,
alors il étudiait Anna prostrée dans son châle, filant ses phrases avec une
feinte conviction, puis il se tut ; Anna avait fermé les yeux. Henri se
disait que les Viennoises étaient d’une fidélité mystique ; leur amoureux
s’absente et elles s’enferment. Anna n’avait d’italien que le minois, trop
naturelle dans ses humeurs comme dans ses gestes, sans coquetterie aucune, avec
un enthousiasme tempéré par la tendresse. Henri aurait voulu noter ces
observations mais de quoi aurait-il l’air, si Anna se réveillait ?
    Elle dormait d’un sommeil sombre et troublé, bougeait les
lèvres en murmurant. Pour conjurer la mort éventuelle de Lejeune, Henri
continuait à voix très basse : « Il n’arrivera rien à Louis-François,
je vous le promets… » À l’autre extrémité de la chambre, les deux petites
sœurs d’Anna venaient en sautillant, toutes minces, bruyantes, et Henri se
retourna en leur faisant signe qu’Anna se reposait : «  Quiet,
please ! » Les fillettes s’approchèrent avec des précautions
démesurées, comme pour un jeu. Elles avaient les cheveux plus clairs qu’Anna,
des frimousses plus aiguës et des robes plus sages. Henri se leva en silence
pour les éloigner du sofa, et elles se mirent à lui parler avec des mimiques et
des gestes incompréhensibles, en pouffant de rire dès qu’elles se regardaient,
puis elles le tirèrent par sa redingote et il dut les suivre. Elles
l’emmenèrent dans l’escalier qui montait à la soupente, en essayant de ne pas
faire grincer les marches de bois, comme des chats, et Henri se laissait faire.
Que voulaient-elles lui montrer ? L’une d’elles ouvrit lentement une porte
et ils se retrouvèrent dans une minuscule chambre sous les toits, très en
fouillis, qui servait de grenier. Les petites se précipitèrent sur une caisse
et collèrent un œil, en se disputant, contre une fente assez large entre deux
lattes. Convié à venir voir, Henri regarda à son tour dans la pièce voisine. Il
surprit Monsieur Staps. Dans un rayon de jour où voletait la poussière, le
jeune homme était à genoux devant une statuette dorée, et il tenait par la
poignée, la pointe vers le sol, un couteau de boucherie, à la manière d’un
chevalier la veille de son adoubement ; en chemise de grosse toile,
paupières closes, il psalmodiait une espèce de prière.
    Henri croyait divaguer. « Il est fou, pensait-il, je
suis certain qu’il est fou mais de quelle sorte de folie ? Pour qui se
prend ce pauvre garçon ? Que représente cette statuette ? Pourquoi ce
couteau ? Qu’est-ce qu’il manigance dans sa cervelle surchauffée ? À
quelle sorcellerie veut-il nous vouer ? Est-il dangereux ? Nous
sommes tous dangereux et l’Empereur d’abord. Nous sommes tous fous. Moi aussi
je suis fou, mais d’Anna, et Anna est folle de Louis-François, qui est fou
comme un soldat… »
     
    À ce même instant, le colonel Lejeune se battait par force
auprès de Masséna. Venu une nouvelle fois dans Aspern lui confirmer l’ordre de
résister jusqu’au crépuscule, et l’avertir des intentions qu’avait l’Empereur
de jeter sa cavalerie entière contre les batteries de l’Archiduc, il n’avait pu
repartir du village désormais assiégé. Seuls le cimetière et l’église restaient
aux voltigeurs ; par de multiples brèches ouvertes dans les ruines, les
Autrichiens avaient réussi à s’implanter partout de manière solide. Masséna
avait fait collecter les gros objets qui pouvaient s’agencer en remparts, des
herses, des charrues, des meubles pour rejoindre les canons inutiles puisque la
poudre manquait. Des grenadiers empilaient là-dessus des cadavres pour
barricader le parvis jusqu’à l’enceinte du cimetière que défendaient des hommes
sans cartouches, avec ce qui leur tombait sous la main, une croix de bronze, un
madrier, des couteaux ; Paradis avait ressorti sa fronde, Rondelet tenait
sa broche comme une rapière.
    Masséna trouvait sa mesure dans le chaos.
    Quand il réalise que des artilleurs d’Hiller roulent une
pièce dans une ruelle, pour enfoncer la façade de l’église, il fait bourrer de
paille et de

Weitere Kostenlose Bücher