La Bataillon de la Croix-Rousse
supposer que le fifre entrait à cette heure le trouver en prison ? Après tout, un fifre comme celui-là était capable de tout.
La porte derrière laquelle brillait une lumière de lanterne s’ouvrit.
Le fifre parut.
C’était bien lui, souriant, gai, sautillant, crâne.
Il avait le bras en écharpe.
– Ah ! ah ! mon camarade, dit-il à Saint-Giles, tu ne m’attendais guère sur le coup de onze heures qui viennent de sonner.
– Faut-il qu’un fifre soit bon garçon pour venir s’ennuyer avec moi !
Lui jetant un bras autour du cou et l’embrassant :
– Est-ce que tu me bouderais, par hasard, citoyen Saint-Giles ? On s’est battu, mais ça n’empêche pas les sentiments ?
Le geôlier, qui avait posé sa lanterne sur la table, dit d’un air mystérieux au fifre :
– Tu sais, mon garçon, que si j’ai consenti à te laisser causer avec ton ami, c’est sur la recommandation d’un homme à qui je n’ai rien à refuser. Mais pas de conversation bruyante, et si vous entendez le bruit d’une ronde, silence.
À Saint-Giles :
– Soyez raisonnable, vous, monsieur Saint-Giles ! pas trop de causeries ! Ne me faites point perdre ma place.
Et il s’en alla.
Saint-Giles, à la vue de la baronne, s’était senti troublé jusqu’aux moelles.
Cette femme frétillante, sémillante, ondoyante et serpentine produisit sur lui l’effet d’une torpille.
Elle allumait ses sens et elle engourdissait sa volonté.
Cependant, il y avait lutte en lui, lutte pénible avec défaite prévue, du reste, défaite inévitable.
– Eh bien, quoi encore ? fit-elle. De la rancune ? Et pourquoi ? Et contre qui ?
Se moquant de lui :
– Monsieur est furieux contre les royalistes, après qu’ils l’ont fait prisonnier.
– Par trahison ! protesta Saint-Giles avec feu.
– Eh oui ! par trahison ! ce qui fait la victoire humiliante pour nous est glorieuse pour toi. L’histoire te rendra cette justice que tu nous avais vaincus lorsque les Auvergnats t’ont surpris et enlevé pour te livrer à tes ennemis.
Avec conviction :
– Te voilà de pair avec Notre Seigneur Jésus-Christ, tu as eu ton Judas, le capitaine Pierre. Cela te relève.
C’était vrai, en somme.
Elle reprit, caressante :
– Tu es le lion du jour. Tout le monde t’admire. Les généraux royalistes qui se connaissent en courage et en tactique prétendent que tu as du génie. Si tu n’étais pas tombé dans un piège, tu nous rossais à plate couture.
D’un ton câlin :
– Tu sens bien, n’est-ce pas, que je te dis la vérité. Mais tu t’entêtes à bouder.
D’un air sérieux :
– Ah ! j’y suis, tu songes à la République, à ta mère, à… ta fiancée… à tout le trimberlin des grands sentiments. Et voilà pourquoi tu ne sautes pas au cou de ton fifre qu’au fond tu adores !
Haussant les épaules avec un très joli mouvement :
– Mon bon cher bien aimé, je ne vois pas en quoi mon amour peut te gêner dans tes grands sentiments. La Révolution ? Je ne t’empêche pas d’en être fanatique. Ta famille ? Je veille sur elle. Ta fiancée ? Tu l’épouseras. Me crois-tu assez bourgeoise pour être jalouse de ta femme ?
Avec un élan joyeux :
– Mon cher, je t’apporte le plaisir, je ne te demande que le plaisir. Embrasse-moi ou tu es un sot…
Elle lui tendit ses joues.
– Jeune homme, à la place de Saint-Giles, qu’aurais-tu fait ?
Selon ce que ta conscience en jugera, il aura eu tort ou raison de cueillir cent baisers sur ces joues fraîches et tentantes.
Mais, après tout, en pareil cas, a-t-on raison ou tort ?
On est vaincu d’avance, fût-on Saint Antoine, quand on est en présence d’une baronne de Quercy.
Pauvre Saint-Giles.
Tu l’as payé si cher, cet amour, que celui-là serait cruel qui te le reprocherait.
Lorsque l’on songe que la baronne de Quercy parvint à tromper Saint-Giles et à l’engourdir dans sa prison pendant sept semaines, on comprend l’ingéniosité dont cette femme fit preuve en politique, par celle qu’elle déploya dans cette intrigue d’amour.
Elle trompa tout le monde.
Dans la famille de Saint-Giles, personne sauf lui ne savait que le petit fifre fût une femme. Elle s’empressa d’aller voir les enfants groupés autour de leur frère cadet, Ernest, gone héroïque qui s’était battu admirablement et qui avait pris le premier canon sur le quai du
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