La Bataillon de la Croix-Rousse
son côté voir Madame Adolphe et la questionner sur l’arrestation de sœur Adrienne, puis lui déclara :
– D’après ce que je vois dans votre récit, vous aimez cette petite Adrienne.
– Elle est si jolie.
– Vous la serviriez avec plaisir !
– Dame oui, si j’étais forcée de quitter madame.
– Madame Adolphe, vous êtes un serviteur précieux, je ne vous remercie pas et même en vous mettant au service de sœur Adrienne, vous restez au mien.
– Ah tant mieux !
– Vous avez dit à cette petite, si j’ai bien compris, que pour l’amant qu’elle perdait, elle en retrouverait un autre.
– Oui ! Je lui ai dit cela pour la consoler.
– M me Adolphe, il entre justement dans mes vues que cette petite ait un autre amant.
– Oui… oui… je sais pourquoi.
– Cet amant est sur le point d’enlever sœur Adrienne.
– Un enlèvement ! Ça me va !
– Vous partirez avec les amoureux et vous serez discrète. Un coup de langue peut vous perdre. Songez qu’il faut traverser des pays où les républicains sont les maîtres et ils ne manqueront pas de vous guillotiner s’ils vous reconnaissaient ou plutôt s’ils devinaient qu’ils ont affaire à une femme ayant trempé dans l’affaire Sautemouche.
– Pas si bête que de rien dire.
– Vous avez l’expérience des choses d’amour, M me Adolphe. Vous devez bien penser que la petite jettera les hauts cris quand dom Saluste qui l’enlève comme sauveur, se transformera en amant et réclamera le salaire de son dévouement.
– La petite ne voudra pas de lui ! Elle pensera toujours à l’autre. Les jeunes filles sont niaises.
– Mais vous n’êtes point sotte, vous, M me Adolphe ! Vous serez là et vous prêcherez pour dom Saluste.
– Oui, madame la baronne.
– Et si vous réussissez, nous, pendant ce temps-là, nous aurons remis le roi sur le trône. Je vous rappellerai alors. Je serai en grande faveur et je vous donnerai une situation telle que tous les suisses de la garde royale vous feront la cour. Vous trouverez à vous marier, M me Adolphe, c’est moi qui vous le dis.
M me Adolphe battit les mains de joie à cette perspective enchanteresse.
– À quand l’enlèvement ? demanda-t-elle.
– Je vous ferai prévenir : mais ce sera bientôt, madame Adolphe. En attendant, tenez-vous tranquille et cachez-vous.
M me Adolphe apprécia ce conseil à sa juste valeur et le suivit.
Ce même soir, l’abbé Roubiès se rendait chez la baronne ; il la trouvait inquiète, abattue même.
– Qu’avez-vous donc, chère baronne ? lui demanda-t-il avec intérêt.
– J’ai, dit-elle, le désespoir de songer que Saint-Giles va quitter Lyon et m’échapper.
– Comment ! s’écria Roubiès, vous lâchez l’oiseau bleu ?
– Il le faut bien ! dit-elle avec un profond soupir. C’est toute une histoire et je vais vous la conter.
L’abbé écouta curieusement.
La baronne expliqua ce qui s’était passé entre elle et Saint-Giles.
– Figurez-vous, mon cher abbé, dit-elle, que mon oiseau bleu, comme vous dites, est un ingrat : je lui ai doré sa cage, je vais lui tenir compagnie, je lui fais tout pour le distraire, et il veut prendre sa volée, me réclamant sans cesse sa liberté ; il ne chante que cette chanson sur cent airs différents.
– En sorte que cela devient fastidieux à la longue ! fit l’abbé.
– J’en suis crispée et je suis lasse de la lutte. Hier encore je tenais ferme mais il a pris un moyen décisif.
– Lequel ?
– C’est une fine nature, très pénétrante. Il se doute de quelque chose et il m’accuse de le tromper et de l’endormir.
– Entre nous, c’est vrai.
– Il veut que je favorise sa fuite et il me prouve que je dois en avoir les moyens.
– Comment le prouve-t-il ?
– Parce que, dans les commencements, afin qu’il prît patience, je lui ai promis de le faire évader.
– Ah diable !
– Et aujourd’hui il me somme de tenir cette promesse. Hier, il m’a juré que si, dans huit jours, je ne l’avais pas tiré de sa prison, il se casserait la tête aux murs.
– Peuh ! fit l’abbé d’un air de doute.
– Oh ! dit-elle, avec une conviction qu’elle lui fit partager, n’en doutez pas : c’est un héros capable des plus belles et en même temps des plus sottes actions.
– Eh bien ! dit l’abbé, puisqu’il en est ainsi, ouvrez-lui la porte de la
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