La Bataillon de la Croix-Rousse
barricade la petite porte du retrait où fermentent les passions malsaines, hypocrisie qui se permet à huis clos dans les maisons suspectes des rues obscures, l’orgie crapuleuse et qui ne parle que de vertu d’honneur et de continence.
Il regarda son fils avec une sévérité qui depuis longtemps n’en imposait plus à celui-ci et il examina la baronne avec cette politesse que sa femme lui avait apprise.
Étienne s’inclina devant M. son père, comme si ce bourgeois eut été duc et pair et lui dit :
– Monsieur…
M me Leroyer avait imposé ce cérémonial dans son intérieur. Non qu’elle fut désireuse de singer les grandes familles, mais, souhaitant que ses fils s’aperçussent le plus tard possible de la nullité de leur père, elle mettait intelligemment entre eux et lui une barrière de respect qui ne permettait pas l’intimité. Étienne, l’aîné, s’était peu à peu émancipé et il ne conservait plus que les formes extérieures de la déférence.
– Monsieur, dit-il, j’ai l’honneur de vous présenter M me la baronne de Quercy qui vous apporte de précieuses instructions.
Leroyer tressaillit. Pour un homme de son tempérament et de son intelligence, confier des dépêches à une femme, employer une femme comme diplomate, accepter une femme comme compagnon de Jéhu, cela la bouleversait. La baronne comprit les doutes de ce maître sot et ne voulut point perdre du temps à convaincre une intelligence obscure. Elle avait deviné derrière Leroyer sa femme.
– Monsieur, dit-elle, présentée à vous par votre fils qui vient de me sauver la vie, je désirerais être présentée par vous à M me Leroyer.
C’était une façon de simplifier les choses qui convenait fort à ce mari, habitué à s’en rapporter à sa femme dans tous les cas difficiles. Mais, par un excès de délicatesse bien inutile, la baronne ajouta :
– Je désirerais rester seule quelques instants avec M me Leroyer qui m’aidera à découdre mon corsage pour y trouver mes instructions.
C’était un moyen de ménager l’amour-propre de M. Leroyer. Inutile. M. Leroyer n’était pas froissé le moins du monde.
Puis, d’un ton de commandement qui plia Leroyer en deux :
– Allez, monsieur ! Prévenez madame Leroyer. J’attends…
Et quand il fut sorti, la baronne dit à Étienne :
– Il ne vous déplaît pas, je pense, de faire preuve de zèle, de rendre des services à la cause royale. Vous avez un nom à reconquérir.
Étienne tressaillit.
– S’appeler Leroyer, ce n’est pas mal, vraiment. Vieille famille ! Haute bourgeoisie ! Mais il me semble que Étioles sonne mieux. Et une ordonnance du roi pourrait vous donner le nom de votre mère.
Étienne rougit. C’était la secrète ambition soufflée par sa mère. Celle-ci n’avait épousé M. Leroyer qu’avec l’arrière-pensée de débarbouiller les fils qu’elle en aurait dans une savonnette à vilains et d’en faire des nobles.
Elle entra avec M. Leroyer comme Étienne baisait la main de la baronne.
– Madame, dit le jeune homme à sa mère, joignez-vous à moi pour remercier M me la baronne de Quercy qui veut bien utiliser mon dévouement et qui promet de me recommander au roi quand le roi sera remonté sur le trône. Sa Majesté, sollicitée par M me la baronne, n’oubliera pas les services rendus par la famille, et je suis bien sûr qu’avec l’appui de madame vos plus chers désirs seront réalisés.
Puis, pour empêcher son père de dire ou de faire quelque nouvelle sottise, le jeune homme lui dit :
– Venez monsieur ! Laissons ces dames.
Et Leroyer, qui avait comme une vague conscience de son infériorité suivi son fils avec majesté, après avoir salué avec pompe.
Cinq minutes à peine s’étaient écoulées que M me Leroyer venait retrouver son mari qui, seul dans son cabinet, se demandait quel serait le résultat de l’entrevue entre sa femme et la baronne.
– Ah ! monsieur, lui dit M me Leroyer, quel dommage que vous ne sachiez pas distinguer entre une caillette et une vraie grande dame. Vous auriez froissé la baronne si ce n’était avant tout une femme d’esprit.
– C’est donc une vraie baronne ?
– Oh monsieur, ça se voit, ce me semble.
– Mais elle se montrait d’une liberté avec Étienne ! Ils échangeaient des regards ! Il m’avait semblé que…
– Eh monsieur, si votre fils a plu à la baronne, tant mieux ! Cela ne
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