La Bataillon de la Croix-Rousse
que sa disgrâce ne lui enlevât ses pleins pouvoirs : il avait fait appeler le capitaine la Ficelle, qui se faisait maintenant appeler Fizelier.
Avant de le mander près de lui, il avait étudié ses notes.
Quand le capitaine parut, Dubois-Crancé lui dit :
– Avant d’être à l’armée, vous étiez agent ?
– Oui, citoyen représentant ! dit la Ficelle.
– Vous avez eu une méchante affaire…
– Oh !… un abus de pouvoir et un peu de carotte tirée à un imbécile qui s’est plaint.
– Passons… Vous avez été chargé en 1787 d’enlever à Londres et de ramener à Paris une héritière qui s’était laissé épouser par un certain drôle…
– Et j’ai mené ça délicatement et rondement…
– Oui… oh ! très habilement !
– Vous connaissez l’histoire de sœur Adrienne ?
– La fiancée de mon commandant ? Oui ! Je sais même que la baronne de Quercy l’a fait disparaître.
– Eh bien ! un de mes agents de Toulon me fait savoir que sœur Adrienne est tombée malade aussitôt arrivée en Suisse. Elle a été atteinte d’une fièvre typhoïde. Cette jeune fille est aux mains d’une mégère…
– Peut-être l’Auvergnate M me Adolphe… qui… Ah ! la garce.
– Bon ! vous ne l’aimez pas. Tant mieux ! de plus, il y a un amoureux dans l’affaire…
– Le prédicateur espagnol, peut-être ?
– Lui-même. Vous devinez d’une façon très perspicace.
– Et il s’agit, sans doute, d’enlever sœur Adrienne ?
– Oui ! Malade au lit, elle n’avait rien à craindre de ce prêtre ; mais elle doit être bien près de sa convalescence. Il s’agit donc de l’avertir qu’on la trompe, de la décider à rentrer en France et de l’y amener.
– Facile ! très facile ! dit la Ficelle.
– Eh bien, vous avez congé ! Voici un crédit pour un banquier de Genève. Usez en largement, n’en abusez pas ! Combien de temps vous faut-il pour préparer votre départ et prendre vos dispositions ?
– Trois heures.
– Que vous faudrait-il que je pourrais vous fournir ?
– Rien.
– Alors, bon voyage ! mais songez que vous allez m’aider à payer à Saint-Giles la dette de la France et, si je ne me trompe, vous avez plus de cœur qu’un policier vulgaire.
– J’ai surtout de l’amour-propre, dit la Ficelle en souriant.
Il salua et s’en alla emportant sa lettre de crédit.
– Je crois, murmura Dubois-Crancé, que ce petit Parisien réussira. En ce cas, j’aurai rempli un devoir de conscience et tenu ma promesse à ce pauvre Saint-Giles.
Puis il écrivit une lettre de réponse à M lle Sigalon, lui apprenant l’envoi de son agent et la priant de lui donner de nouveaux renseignements sur sœur Adrienne s’il survenait par hasard quelque incident.
Pourquoi n’avait-il pas donné un plus vif espoir à Saint-Giles ?
Pourquoi ne lui avait-il point tout dit ?
Parce qu’il ne voulait pas troubler ce grand cœur par cette révélation.
Savoir sœur Adrienne à Genève, si près et menacée.
Peut-être Saint-Giles se serait-il moins bien battu !
Disgrâce
Disgrâce !
Sous un régime républicain ?
Comment, disgrâce ?
Eh oui !
Du moment où il y a un maître, il y a disgrâce possible.
À cette époque, il y avait un maître tout comme au temps des rois.
Ce maître, c’était le peuple !
Maître exigeant, capricieux, fantastique, redoutable, tyran à millions de têtes, qui toutes sifflent, mordent et déchirent.
Maître terrible, soupçonneux, cruel : aux heures redoutables le pire des maîtres.
Maître bénévole, bienveillant, foule à conduire, à flatter comme un roi débonnaire, quand l’ère des crises révolutionnaires est fermée.
Maître singulier dans les manifestations de son pouvoir et de ses volontés, car il faut toujours qu’il délègue ce pouvoir et les délégués sont censés représenter ses volontés. Pour le moment, le délégué, c’était la Convention mais la Convention divisée en partie et la Convention ayant délégué elle-même le pouvoir exécutif à un Comité de Salut public dans lequel on retrouvait des divisions de partis, comme au sein même de la Convention.
Le parti des hommes de haute main, des politiques, si l’on veut, avec Robespierre et Couthon comme chefs.
Le parti des violents qui voulaient des mesures extrêmes.
Le parti des opportunistes d’alors qui penchaient tantôt
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