La Bataillon de la Croix-Rousse
vainqueur de Marseille sous Carteaux, vient me remplacer ici ce soir ou demain. Et c’est lui qui dirigera les assauts !
– Sacrebleu ! dit Mouton, nous allons être bien commandés. Un médecin.
– Que voulez-vous, mon cher ? En temps de Révolution, on voit de ces choses là ! Je crois pouvoir affirmer que je sais mon métier de soldat. Je suis ingénieur militaire d’assez bonne réputation ; j’ai réussi avec de faibles moyens à dominer la formidable artillerie des Lyonnais ; ceux-ci sont aux abois et la famine les forcerait à capituler bientôt ; j’aurais pris Lyon sans risquer un échec qui entraînerait une déroute complète. Mais le citoyen cul-de-jatte Couthon arrive avec une cohue de pâtres armés de bâtons et de faux ! Et il veut que l’on enlève Lyon révolutionnairement en donnant tête basse sur l’ennemi. Or, je vous le dis, Mouton, à ce jeu on s’expose à une panique et à un désastre.
– C’est vrai ! dit Mouton.
– Sa réquisition de « rochers d’Auvergne » ne vaut pas deux liards.
– Oh ! quant à ça, on n’en sait rien ! dit Mouton. Les gardes nationales ont bien marché.
– Elles sont bien armées ! dit Dubois-Crancé.
– Écoutez, dit Mouton, j’ai vu les Auvergnats et ils ont l’air déterminé. Je n’en jugerai cependant qu’après expérience au feu.
– Soit, dit Dubois-Crancé. Admettons que les Auvergnats se battent bien, que l’assaut réussisse ! C’est Lyon livré aux horreurs du pillage ! C’est la seconde ville, la plus riche de France, la plus commerçante, pillée par cent mille Auvergnats et trois cent mille paysans accourus pour venger la Convention.
– Diable ! dit Mouton, il y a du vrai dans vos craintes. Les Auvergnats sont tous venus avec des sacs et beaucoup ont des charrettes pour emporter le butin.
– Vous voyez ! Voilà ce qui me faisait repousser l’assaut pour m’en tenir au bombardement et à la famine. Lyon capitulant consentirait à livrer les chefs militaires et politiques les plus compromis, mais on signerait pour la ville des garanties qui la mettraient à l’abri de sa destruction que les « violents » du Comité veulent complète.
– Comment complète ?
– Oui ! Un parti puissant veut raser la ville.
– Morbleu, ils n’y vont pas de main-morte, les « violents ».
– Ont-ils donc tort ? s’écria Dubois-Crancé. Moi qui ai pris tous les moyens possibles pour sauver cette ville rebelle, moi qui lui ai proposé vingt fois de se rendre, moi qui ai usé mon crédit à la Convention, ma popularité dans les clubs de Paris à cette tâche ingrate de la pacification, à quoi ai-je abouti ?
« À rien ! Lyon me donne tort par son obstination. Lyon n’est plus une ville républicaine égarée, c’est une ville royaliste qui appelle l’étranger et qui trahit la patrie. Lyon a voulu sa ruine et Lyon l’aura méritée. Et moi qui sens ma tête vaciller sur mes épaules, mon honneur de patriote compromis, mes efforts vains, je maudis cette cité et je la hais. Je la voue aux fureurs des « violents », et si Couthon faiblissait dans la répression, à mon tour je reprocherais sa mollesse à Couthon.
« Si Doppet ne venait m’arracher le commandement, je préparerais l’assaut moi-même parce que je suis las et indigné de voir échouer toutes les tentatives que j’ai faites pour le salut de Lyon.
« Ne pouvant plus être général, je serais soldat et je marcherais en tête de nos colonnes.
« Si l’assaut entraîne un échec pour nous et une déroute, je périrais à l’arrière-garde. Mais je ne mourrais pas content, parce que je ne mourrais pas vengé.
– De qui donc ?
– De Couthon ! De Couthon qui m’a dénoncé à la Convention. De Couthon qui m’a poussé et me pousse tant qu’il peut sous le couteau et que je ferai guillotiner, moi, si je ne me meurs pas trop tôt.
Puis à Mouton :
– Quant à vous, lui dit-il, mon cher Mouton, vous n’êtes pas mêlé à nos luttes politiques, à nos responsabilités. Doppet me demande un bon officier d’ordonnance, un vrai militaire, me dit-il : vous ferez son affaire.
« Quelle que soit votre répugnance pour ce médecin-général, portez-lui, au nom de la patrie, votre expérience et vos talents. Je souhaite que les faits donnent raison à Couthon contre moi et que les assauts réussissent, avançant de quelques jours, au prix de bien du
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