La Bataillon de la Croix-Rousse
une troupe de saltimbanques, de filou condamné pour une vilaine action, étant comédien, d’homme de lettres, écrivant des pièces assez douceâtres, de directeur de théâtre et de révolutionnaire convaincu, mais aigri, haineux, voulant faire payer à tout le monde ses misères passées. »
En somme un bohème, comme on dirait aujourd’hui, un bohème devenu un homme politique féroce et exalté.
Il avait été à Lyon chanteur, puis comique, puis tragédien, puis directeur du Grand-Théâtre et enfin représentant du peuple.
Pourquoi tant de fureur contre Lyon ?
Le public l’avait-il sifflé, comme le prétendent presque tous les historiens ?
D’après M. E. Vingtrinier, le baron Raverat nie le fait.
Cependant, il expliquerait la rage du proconsul.
Dès leur arrivée, les proconsuls imprimèrent aux travaux de démolition de Lyon une activité inouïe. La solde de l’armée d’ouvriers chargée de cette œuvre de vandales s’éleva à seize millions ; le chiffre des dommages dépassa trois cent millions.
On évalue à seize cents le nombre des maisons qui disparurent, en comptant celles du quartier de Bourgneuf, démolies pour donner plus de largeur à la grande route de Paris. Mais leurs propriétaires ne furent jamais indemnisés.
L’histoire ne saurait flétrir avec trop d’énergie cette destruction qui couvrait de ruines la seconde ville de France.
Mais on relève une ville : on ne refait pas une génération.
Pendant que la pioche démolissait le Lyon de pierres, le couteau de la guillotine décimait la population.
Les deux proconsuls, après avoir créé le comité de démolition, créèrent une commission de surveillance, qui dénonçait en masse les suspects et une commission de justice révolutionnaire qui remplaça les commissions de justice militaire et civile, considérées comme trop douces et trop lentes.
Alors la terreur s’abattit sur Lyon.
À partir du jour où Collot-d’Herbois et Fouché furent arrivés à Lyon, la fable antique l’épée de Damoclès devint une réalité pour toute une ville.
Chacun se sentit sous le couteau.
La Terreur dura pendant quatre-vingt-dix jours.
La ville fut livrée à des hordes d’assassins stipendiés, ex-massacreurs de septembre, bandes impures de prétendus républicains ramassés dans la lie de Paris et des grandes villes, brutes immondes et féroces qui formèrent la police armée des proconsuls, la troupe des « hussards de la guillotine ».
Les hommes de Balandrin en formèrent le noyau, et ce citoyen si brave, si loyal, enivré par le sang, fanatisé par les excitations, devint, c’est triste à dire, un des perquisitionneurs les plus acharnés.
« La guillotine, dit-il, fut d’abord installée sur la place Bellecour, dite de la Fédération, puis sur la place des Terreaux, dite de la Liberté. On voulait que les cadavres que l’on entasserait au pied de l’arbre de la Liberté aidassent à lui faire prendre racine. On voulait aussi que la vue du glaive vengeur des lois frappât d’épouvante les agioteurs, les aristocrates, les riches, les négociants, les accapareurs et autres ennemis du peuple. Elle fut promenée dans les rues, dit-on, et on eut l’intention de la dresser sur un des ponts du Rhône, d’où l’on précipiterait les cadavres dans les flots. »
Les circonstances ne leur permirent pas de réaliser ce projet ; la guillotine resta donc en permanence sur la place des Terreaux, immédiatement devant le perron de l’Hôtel de Ville. Mais le sang n’étant pas conduit dans un canal souterrain, coulait en telle abondance sur cette partie de la place et dans les rues Lafont et Puits-Gaillot que les habitants du quartier signèrent des pétitions pour demander que la guillotine fût transportée ailleurs. On l’établit à l’autre extrémité de la place, dans l’axe du perron, entre la rue Sainte-Marie et la rue Saint-Pierre.
Une fosse creusée sous l’échafaud conduisait le sang des suppliciés dans le canal qui recevait le trop-plein des eaux de la fontaine que l’on voyait alors sur la place des Terreaux.
Malgré cette précaution, le sang coulait dans toutes les directions, et, par le piétinement des hommes et des chevaux, formait une boue affreuse, aux odeurs de cadavres. On prétend même qu’il baignait le portique de l’église St Pierre, ce qui paraît fort extraordinaire, dit l’historien Guillin, quoique ce soit affirmé par un témoin oculaire.
Un rapport
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