La Bataillon de la Croix-Rousse
domicile des fatigues de la nuit : beaucoup de détachements avaient été faits pour accompagner les commissaires dans les visites domiciliaires.
Deux cents hommes ! C’était toute la force armée que Châlier avait sous la main.
Il est vrai que les Carmagnoles, comme il les appelait, étaient armés jusqu’aux dents : mais la plupart n’avaient jamais tiré ni un coup de fusil, ni un coup de pistolet.
La Ficelle, officier dans cette troupe, avait confié à son ami Monte-à-Rebours, qu’il n’avait nulle confiance dans ces bandes que l’on n’avait jamais instruites, alors que la garde nationale s’exerçait tous les jours.
Mais Châlier avait foi en son monde.
La Ficelle, lui, plus clairvoyant, s’attendait à ce qu’il appelait une brossée remarquable.
Ainsi accompagné, Châlier traversa Lyon dans un appareil qu’il crut formidable, parce qu’il tramait à sa suite une petite pièce de canon.
Il ignorait les choses de la guerre et ses Carmagnoles ne savaient rien du service d’artillerie.
Ils partirent sans les caissons de la pièce.
Les espions royalistes qui les épiaient s’en aperçurent et en prévinrent le lieutenant Leroyer.
Comme les royalistes s’attendaient à cette attaque, ils avaient pu faire leurs préparatifs.
L’abbé Roubiès avait envoyé à tous ses affiliés des instructions précises.
Devant Châlier et sur son passage, personne, par ordre de l’abbé.
Derrière lui, les bataillons bourgeois prenaient les armes, et ils emmenaient avec eux leurs canons chargés et leurs caissons bourrés de paquets de mitraille.
Enfin, derrière les gardes nationaux, une masse de femmes, d’enfants, de curieux, tous bourgeois ou tenant à la bourgeoisie, tous hostiles aux Jacobins.
Châlier avançait de plus en plus furieux, la bile versée dans le sang et fouettant son tempérament enflammé.
C’est ainsi qu’il arriva devant la maison Leroyer.
Mais, au lieu d’y trouver des bourgeois hésitants et terrifiés, il rencontra des hommes résolus, ayant le sentiment de leur force, la certitude d’être soutenus, la gaieté des troupes bien nourries, une légère pointe de vin en tête et l’aplomb que donnent des préparatifs de défense exécutés avec soin et habileté.
À l’intérieur, le tambour battait.
Aux fenêtres, les canons de fusil reluisaient.
Aux meurtrières, percées dans la porte, pointaient des baïonnettes.
Malgré cet appareil imposant de défense, Châlier s’avança seul, sans broncher.
Il était disposé, par son éducation cléricale, à croire aux légendes de la Bible et de l’Évangile.
Il s’imaginait que l’idée peut tout, que la parole fait tomber les murailles, que la foi transporte les montagnes.
Il se figurait que sa présence et le décret allaient avoir le pouvoir de la formule magique des Mille et une Nuits : « Sésame, ouvre-toi. »
Du dedans, on leur cria :
– Qui vive !
Il répondit :
– Je suis le représentant de la loi et je viens perquisitionner ! Vous détenez des patriotes. Ne bravez pas plus longtemps la colère du peuple.
– Ah ! oui, dit une voix railleuse, tu veux parler de Sautemouche… mouche… mouche. Il se détient tout seul : il est saoul comme une grive, ce pauvre Saute… mouche… mouche… mouche…
Les éclats de rire appuyèrent cette raillerie ; puis une voix mâle demanda :
– Et qui donc vous a donné le droit de perquisitionner ?
– Le décret qui est affiché en face de vous, sur ce mur ! dit Châlier.
– Ce décret est illégal ! La maire ne l’a pas signé.
– Le premier adjoint a signé à défaut du maire ! dit Châlier.
– Par supercherie et sans y être autorisé, riposta la voix.
C’était vrai.
Châlier, ayant tort, se fâcha.
– Voulez-vous obéir à la loi, oui ou non ? demanda-t-il d’une voix vibrante.
– À la loi, oui ! À toi, non ! répondit-on. Tu fais de l’arbitraire et nous repoussons l’arbitraire à coups de fusil.
C’était le lieutenant Leroyer qui parlait si énergiquement, enflammé par les beaux yeux de la baronne.
Une immense acclamation retentit dans la maison, saluant le défi d’Étienne.
De sourdes rumeurs y répondirent dans les rues voisines, pleines déjà de gardes nationaux, irrités contre les Carmagnoles.
– Ah, c’est ainsi ! s’écria Châlier, nous allons voir.
– Quoi ! demanda une voix claire et rieuse, celle de la
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