La Bataillon de la Croix-Rousse
baronne.
Châlier, qui avait fait demi-tour, fit volte-face vivement, mais avant qu’il eût répondu, la baronne lui cria :
– Savez-vous ce que nous allons voir, citoyen Châlier ? La lune, mon gars ? Une vilaine lune piémontaise, toute rousse, que vous nous montrerez en battant en retraite, tout à l’heure.
Et, sur un fifre, elle joua :
Au clair de la lune !
Un grand éclat de rire salua cette facétie du fifre.
Rien de ferme au combat comme une troupe en belle humeur.
Châlier l’ignorait.
– Vous serez tous exterminés, insolents drôles que vous êtes, s’écria-t-il. Cette maison sera rasée et je ferai semer du sel sur le terrain qu’elle aura occupé.
Le fifre répondit en jouant sur son instrument :
Va-t-en voir s’ils viennent, Jean.
Exaspéré, Châlier ordonna :
– Faites avancer le canon. Abattez cette porte à coups de boulets.
Les Carmagnoles tramèrent leur unique canon, le braquèrent sur la porte, puis demeurèrent bouche béante et bras ballants : ils s’apercevaient qu’ils manquaient de gargousses.
– Tirez donc, disait Châlier.
– Citoyen, on a oublié les caissons, fit observer la Ficelle, qui s’était glissé près du chef et jugeait à propos d’intervenir.
Ce la Ficelle était un sujet assez remarquable, que la police parisienne avait cédé à celle de Lyon, à la suite d’une affaire fâcheuse pour lui.
Agent habile, mais voleur, il n’avait pas été destitué : on l’avait engagé à changer d’air, et on l’avait envoyé à Lyon où il avait rendu assez de services pour passer officier des Carmagnoles.
Il méprisait sa troupe et, en ce moment, jugeait sainement la situation.
Pour la faire apprécier de même par Châlier que la colère aveuglait, il lui montra la rue barrée des deux côtés par des masses profondes de gardes nationaux arrivés silencieusement, il montra aussi les baïonnettes se succédant à perte de vue, et deux batteries braquées, l’une en haut, l’autre en bas de la rue ; puis il dit à Châlier :
– Eux, pas bêtes ; ils n’ont pas oublié leurs caissons.
Châlier, de jaune qu’il était, verdit de rage.
– Si j’avais seulement deux gargousses, s’écria-t-il, on mettrait la porte bas, on se jetterait dans la maison et on massacrerait les insolents qui sont dedans.
La Ficelle n’approuvait pas cette idée, mais il ne daigna même pas la discuter, puisqu’elle était impossible à exécuter.
– Nous n’avons pas les gargousses, dit-il. Battons en retraite, crois-moi, citoyen Châlier. Cela vaut mieux que de nous laisser faire prisonniers ; si un seul coup de feu est tiré, nous sommes perdus.
On dit que c’est dans les retraites qu’un bon général s’affirme et montre sa vraie supériorité.
Si cet axiome stratégique est admis, il faut convenir que la Ficelle avait en lui l’étoffe d’un grand capitaine, car il avait le génie de la retraite.
Comme Châlier ne se décidait pas, il lui montra les Carmagnoles.
– Vois, dit-il. Avec ces mines-là, ils ne se battront pas et baisseront les canons de leurs fusils, en signe de paix. Nous n’avons même pas la ressource de nous faire tuer.
La Ficelle prononça cette fin de phrase avec l’air chagrin d’un brave qui regrette de ne pas pouvoir chercher dans la mort l’absolution de la défaite : au fond, il ne tenait pas à se faire massacrer sottement.
Châlier, lui, qui était violent, eut une inspiration de mort sincère ; il prit un pistolet pour se faire sauter la cervelle, résolution prompte et désespérée de son orgueil aux abois.
La Ficelle arrêta le geste et demanda :
– Qui donc commandera les Jacobins, toi mort ?
Puis il ajouta :
– Songe à la revanche.
Châlier poussa un soupir, baissa la tête et murmura :
– Buvons notre honte jusqu’à la lie ! Nous noierons un jour ces misérables dans le sang !
Il se plaça à la tête de sa troupe, commandant la retraite.
Comme l’avait prévu la Ficelle, derrière Châlier, les Carmagnoles mirent l’arme sous le bras.
Tout à coup, l’on entendit le fifre jouer :
Bon voyage, monsieur Dumollet !
Et, audacieusement, la baronne, faisant ouvrir la porte, sortit avec un piquet ; elle accompagna la retraite des Carmagnoles en jouant son air narquois.
Mais derrière le piquet apparut un étrange cortège.
Lorsque les hommes politiques du parti girondin à Lyon, dans leurs lettres à leurs
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