La Bataillon de la Croix-Rousse
autrefois assez aimé pour être devenue mère.
En tous cas, il l’appelait indifféremment ma tante ou ma mère.
Ma mère en religion.
Ma tante, au point de vue civil.
Mais elle l’était peut-être bien au point de vue réel.
Elle l’aimait assez égoïstement, du reste, mettait son orgueil en lui, et elle prétendait que, sans lui, elle serait allée insulter Robespierre pour monter sur l’échafaud avec joie ; c’était une pose.
Il y avait dans cette tendresse de la tante ou de la mère de l’abbé Roubiès un je ne sais quoi de charnel qui le gênait ; il la tenait froidement à distance.
Ces vierges folles, devenues des saintes, conservent dans les amitiés permises, quelque chose de trop ardent qui inquiéterait leurs confesseurs, si les confesseurs étaient gens à s’alarmer de si peu.
Grâce aux secours de quelques familles très riches de Lyon, la communauté vivait dans l’abondance.
Ce n’était pas un de ces couvents où les macérations sont à la mode et où les sœurs se privent de nourriture jusqu’à s’émacier.
Telle n’était pas la direction qu’avait imprimée l’abbé Roubiès aux sœurs, par l’intermédiaire de sa tante.
Mais, au point de vue moral, on pratiquait l’ascétisme le plus mystique qui, combiné avec la bonne chère, provoquait de violentes exagérations : l’abbé avait depuis peu ordonné un redoublement d’exercices religieux pour pousser les sœurs dans la voie extatique.
Toute sa science de prêtre fort semblait avoir été dirigée vers ce but : faire naître dans la communauté cette étrange maladie morale qui s’appelle l’érotisme des cloîtres ; il s’était ingénié à instituer une règle qui aboutirait à ce résultat :
« Produire des filles hystériques par l’excès des forces physiques non employées, par l’abus des prédications passionnées et des méditations prolongées. »
Il se passait à huis-clos, dans la communauté, des scènes étranges : on avait si bien entraîné ces malheureuses sœurs que toutes étaient somnambules.
Souvent, au cours des méditations, l’une d’elles tombait en extase et se mettait, comme la prêtresse antique, à vaticiner, prédisant à la République la ruine et la mort, menaçant Châlier et les républicains du poignard des filles de Sion, annonçant qu’une femme sauverait la France.
Telles étaient les conséquences de la méthode savante d’entraînement religieux que l’abbé Roubiès faisait appliquer à la communauté, en la combinant avec l’ingestion de certaines drogues empruntées à la pharmacie des cloîtres et aux traditions du Moyen-Âge ; mais ces crises de fanatisme étaient aussi causées par les prédications d’un moine d’une éloquence singulière, aussi fanatique, aussi exalté que Châlier ; l’abbé Roubiès envoyait souvent ce moine à la communauté pour y entretenir le feu sacré de l’assassinat.
Ce moine était un Espagnol qui parlait fort bien notre langue, car il avait servi dans notre armée comme officier.
Cet homme devait avoir de fortes tentations.
Il était sincère dans ses exaltations catholiques, mais sa vie ne devait pas être pure.
En France, nous ne comprenons pas ces types de moines espagnols alliant la nature la plus lubrique à la foi la plus vive, courant pendant des semaines les mauvaises maisons qu’ils scandalisent par l’emportement de leurs sales passions ; puis allant, couverts de cendres, la discipline au poing, expier leurs fautes dans le secret de leurs cellules.
Ces moines doivent même souvent à l’impétuosité du sang une éloquence dont ont fait preuve ceux qui prêchèrent la guerre de l’indépendance contre nous sous le premier Empire.
C’est une éloquence enflammée sans logique, sans suite, mais pleine d’images saisissantes, d’élans impétueux et de mouvement.
Un de nos écrivains ecclésiastiques a qualifié ces moines espagnols de tribuns de la « chair » catholique.
Ils exercent en effet sur les masses surtout, sur les ignorants et les femmes, une action fascinante.
Le moine qui prêchait au couvent des Brotteaux était de ceux-là.
Ce moine qui s’appelait Dom Saluste était réputé pour les succès qu’il obtenait comme prédicateur.
Sa renommée était bien établie à Lyon où il avait prêché souvent, appelé par l’archevêque qui le connaissait.
C’est à lui que l’abbé Roubiès avait confié le soin de fanatiser les sœurs du
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