La Bataillon de la Croix-Rousse
réfractaire : celui-ci avait appelé sur lui la vengeance du ciel et le monstre était tombé comme foudroyé.
Les foules sont sujettes à des émotions nerveuses qui réagissent même sur les individus les plus réfractaires.
Il y avait des gens de peu de foi parmi les gardes nationaux : tous, cependant, subirent l’influence du spectacle qui passait sous leurs yeux.
Et, aujourd’hui encore, des Lyonnais vous affirment sans rire que rien n’est plus vrai que la légende de Châlier foudroyé par une excommunication.
Elle passa, ce jour-là, la justice de Dieu, comédie inventée par un prêtre.
Quelques mois plus tard, la justice du peuple s’abattait sur Lyon et passait à son tour sur la ville comme une tempête de sang.
Ignominie
La représentation organisée par les royalistes dans les rues de Lyon avait été combinée de façon à satisfaire tous les goûts.
Après le tragique, le comique.
Derrière les émissaires annonçant la justice de Dieu, d’autres, après le passage de Châlier, recommandaient à la garde nationale de ne pas rompre les rangs.
– Vous allez voir ! Vous allez voir ! Un défilé d’ivrognes. On se croirait en carnaval ! Un municipal dans les vignes du seigneur ! Les commissaires de l’emprunt forcé conservés à l’eau-de-vie !
Puis une chanson, deux chansons, trois chansons improvisées par le marquis de Tresmes, avec refrains variés :
La mouche sautera, etc.
La mouche saute, etc.
La mouche a sauté, etc.
Et des allusions menaçantes
Il fait venir la guillotine
Et veut qu’on monte la machine.
C’est lui qui l’étrennera,
Sautemouche sautera,
Tra tra traderidera !
Prévenus de la sorte, les gardes nationaux, les femmes et les enfants à qui l’on avait laissé percer la haie, beaucoup de monde aux fenêtres bondées de têtes curieuses, tout Lyon enfin, attendaient le second cortège !
Il y avait dix minutes d’intervalle entre le drame et la parade.
Tout était si bien combiné par l’infernale habileté de Roubiès et de ses acolytes que des chanteurs ambulants couraient les rues, vendant les chansons du marquis de Tresmes à la hâte et les chantaient eux-mêmes, ce qui faisait que les gardes nationaux les chantaient aussi sur le champ et en savaient les airs avant le défilé, les chantres d’église les ayant appris la veille et dirigeant les chœurs.
Ils lisaient les paroles sur des cahiers.
La marche des ivrognes était donc exécutée au milieu des refrains comiques, elle s’annonçait par des improvisations fantaisistes et sautillantes que jouait un fifre marchant en tête du défilé.
La baronne ressemblait à un petit démon et elle sifflait si crânement et si spirituellement, elle était si jolie et si malicieuse, que les Lyonnais lui criaient :
– Bravo ! le fifre !
La population adopta le fifre qui devint l’enfant chéri de Lyon et dont la réputation ne fit que croître ; elle est restée légendaire.
Venait, derrière le fifre, un piquet.
Puis, des hommes portant des pancartes immenses sur lesquelles étaient crayonnées et enluminées des caricatures représentant les scènes de l’orgie.
Enfin, suivaient les civières sur lesquelles les Carmagnoles vrais ou faux et Sautemouche étaient étendus dans l’état où les avait mis madame Adolphe, couverts de lie et de boue détrempée par le vin, puant l’orgie, sales, débraillés, dégouttants : quelques-uns, sortant de leur torpeur, se soulevaient, retombaient, prononçaient des paroles incohérentes et tendaient les bras à la foule.
À l’aspect de ces malheureuses victimes du génie inventif de la baronne, l’indignation des uns, l’hilarité des autres éclataient, formant un concert formidable de lazzi, d’injures, de moqueries et d’imprécations !
Les femmes criaient, formant chorus avec M me Adolphe qui, comme une saoule, s’attachait à sa victime et marchait près de la civière de Sautemouche en se livrant à une pantomime effrénée.
Elle excitait des mégères qui s’étaient jointes à elle et qui souffletaient les carmagnoles, leur crachaient à la figure, les fouettant et leur jetant de la fange ramassée dans les ruisseaux, qui alors ne séchaient jamais.
Dans la foule, pas une protestation contre ces indignités : les têtes étaient trop montées pour que la voix de la décence parlât et rappelât les citoyens au sentiment de la pudeur.
Sur les places, le cortège s’arrêtait
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