La Bataillon de la Croix-Rousse
couvent clandestin des Brotteaux.
Sous la parole de ce prêtre étrange, ces cœurs de filles hystériques avaient vibré.
Tout avait donc été mis en œuvre pour préparer ces malheureuses à l’assassinat de Châlier.
Mais l’une d’elles surtout avait été reconnue plus apte à accomplir cette œuvre de sang.
C’était cette sœur Adrienne dont l’abbé avait parlé à la baronne.
C’était celle-là qui semblait prédestinée pour ce meurtre.
C’était à elle que le moine espagnol, la couvrant d’un regard ardent, adressait ses brûlantes exhortations.
Sœur Adrienne était une beauté froide, correcte, aux traits presque rigides, mais d’une pureté de lignes qui rappelait les bas-reliefs antiques de la grande époque de Périclès.
Elle avait vingt ans.
Pour les autres, c’était la jeunesse, printemps de la vie, l’amour, les doux enivrements de la sève qui monte et fait éclater les splendeurs du sein.
Pour elle, c’était l’ennui profond, l’ennui terrible de la recluse, le mortel ennui.
Pour elle, c’était la dépense effrayante des forces nerveuses pendant les extases, les mornes abattements ensuite.
Pour qui eût su deviner la femme sous la sœur, Adrienne eût paru ce que la nature l’avait faite, une fille pure, chaste, belle, d’une haute portée intellectuelle, capable de se dévouer et d’aimer jusqu’aux plus sublimes sacrifices.
Le cloître, les habiletés du père Roubiès et les prédications du moine espagnol, nature sauvage, âme délirante, parole fulgurante, avait étouffé tous les germes humains dans ce cœur et ce qui était bon, grand, généreux, avait avorté ou s’était monstrueusement développé à contre-nature.
Adrienne était devenue si fanatique que c’était sur elle surtout, sur elle seule même que l’on comptait pour exécuter le plan d’assassinat des Compagnons de Jéhu.
Aux prédications passionnées du moine, le père Roubiès joignait les exhortations les plus insinuantes de sa parole.
Il ne doutait pas qu’une nature aussi élevée que celle d’Adrienne ne fût sensible aux excitations de l’orgueil : il exploitait cette corde.
Il montrait à la jeune fille son glorieux avenir, lorsque, remontant sur son trône, le roi la ferait nommer abbesse mitrée, lorsque le Pape la désignerait par un encyclique à l’admiration et à la vénération du monde.
Il lui ouvrait d’immenses horizons.
Et ces mots magiques, gloire immortelle, paradis éternel, ange sauveur de l’Église et de la monarchie, Judith Française, nouvelle Jeanne d’Arc, tombaient sur un esprit naturellement porté à voir grand, mais dont on avait faussé le point de vue.
Telle était sœur Adrienne que la nature avait créée pour être la mère auguste de grands citoyens, et dont les prêtres avaient fait la vierge stérile ambitionnant l’honneur d’assassiner un Jacobin.
Or, le jour de la manifestation, l’abbé Roubiès avait envoyé un mot à la supérieure.
Aussitôt, celle-ci avait ordonné à sœur Adrienne de s’habiller pour sortir du couvent avec elle.
Sortir !
Ce mot produit un effet étrange sur une recluse.
Adrienne en était arrivée peu à peu à ce point qu’elle était hantée par l’obsession de l’assassinat.
Elle se livrait à toutes les puérilités de la dévotion pour plaire à Dieu et pour qu’il daignât la désigner comme l’instrument de ses châtiments.
C’est dans ces circonstances que la supérieure était venue lui dire « Nous sortons ! ».
Sœur Adrienne, à l’idée de mettre le pied dehors, s’était mise à pleurer.
Elle était la plus exaltée dans le rigorisme et voulait respecter son vœu de réclusion.
Elle avait protesté avec énergie.
La supérieure avait insisté avec autorité.
Sœur Adrienne avait fermement opposé ses vœux à cette sortie.
La supérieure avait commandé impérativement.
Alors, sœur Adrienne avait baissé la tête et s’était déclarée prête à obéir, protestant que sa supérieure était responsable de ce manquement à la règle.
– Ordre du père Roubiès pour le salut de l’Église ! avait répondu la supérieure.
Les yeux de la jeune sœur avaient brillé d’un feu ardent et sombre.
– Le grand jour de la délivrance de Lyon serait-il donc arrivé ? avait-elle demandé.
– Il approche ! avait répondu la supérieure. Que toutes se préparent ! Il faut des victimes au Seigneur.
Sœur Adrienne, dès lors, avait montré
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