La Bataillon de la Croix-Rousse
nous en débarrasse quand il aura jeté son premier feu et provoqué par des défis furieux la bourgeoisie lyonnaise.
La baronne qui, sous son costume de fifre, assistait à la séance, demanda en souriant :
– Est-ce que vous ne nous avez pas parlé d’une Judith, d’un ange de l’assassinat ? Il me semble avoir ouï dire qu’une certaine sœur Adrienne s’essayait à ce grand rôle.
– Oui, baronne ! Et je crois à la réussite ! Cependant, si Châlier échappe au poignard, il y aura une rude bataille, car il prendra mieux ses mesures ; je recommande à tous l’activité et l’énergie ; soyons prêts pour le 31 mai à culbuter la municipalité et à nous emparer de l’Hôtel-de-Ville.
Il donna ses instructions à chacun, puis il termina en disant à la baronne :
– Madame, sœur Adrienne, dont vous me demandez des nouvelles, vient d’assister au grand spectacle de la honte et des humiliations de Châlier. Cette scène doit avoir produit sur l’esprit de notre moderne Judith un effet extraordinaire : elle était déterminée à agir, elle doit maintenant en brûler d’envie. Vous pouvez donc écrire à monseigneur le régent, qu’à moins d’un miracle, les jours de Châlier sont comptés. Cependant, comme il peut arriver que le miracle se réalise et qu’il en réchappe, nous ne compterons que sur nous et nous prendrons quand même l’Hôtel-de-Ville.
– À quand le coup de poignard ? demanda la baronne froidement.
– Demain, après-demain peut-être. Châlier ne peut manquer de prononcer à son club quelque discours épouvantable pour sa rentrée sur la scène politique après l’aventure d’aujourd’hui. Ce discours justifiera le meurtre de son auteur qui aura lieu à la fin même de la séance.
L’abbé Roubiès avait parlé d’un couvent et d’une sœur Adrienne.
Il y avait donc à Lyon un couvent et des sœurs.
Mais il ne s’agissait évidemment pas d’un couvent comme il en existe lorsque la loi les tolère ou les approuve.
Même à Lyon, il eût été dangereux de braver ouvertement les décrets de sécularisation : c’eût été trop d’imprudence ; partout on avait l’air d’obéir à la loi.
Quelques communautés étaient passées l’étranger.
Plusieurs s’étaient dissoutes momentanément.
Un certain nombre de religieuses avaient épousé civilement des citoyens enchantés de gagner des jolies filles, très intéressantes du reste, à la République et de donner à celle-ci des défenseurs en collaboration avec des épouses de Jésus-Christ.
La plupart des communautés, à Lyon notamment, paraissant se soumettre aux décrets, avaient fait mine de se disperser : en réalité, elles restaient constituées, mais les sœurs ne portaient plus le costume.
Parmi ces communautés qui trichaient avec les décrets, il en était une, celle des filles de Saint-Régis qui était dirigée par l’abbé Roubiès comme père spirituel.
Réduite à une supérieure, à deux mères, à cinq novices, cette communauté vivait très secrètement dans une rue perdue du faubourg des Brotteaux.
L’existence de ce couvent clandestin en plein faubourg de Lyon prouve, malgré les précautions prises par les intéressées, que la population était en somme très disposée à la tolérance.
Dans cette maison des Brotteaux, les sœurs vivaient recluses, n’ayant pour promenoir qu’un petit jardin entouré de hauts murs.
Elles ne sortaient jamais que par ordre, ou, si l’on veut, par permission de l’abbé Roubiès.
Pour les voisins, la supérieure se disait l’aïeule des novices.
Des deux sœurs, une prétendait être la tante, l’autre la mère de ces novices.
Et tout ce monde, vêtu bourgeoisement mais modestement et sévèrement, se tenait très renfermé, je l’ai dit, servi par une tourière qui faisait la cuisine et les commissions.
La supérieure était une ex-belle femme au profil très accentué, dominatrice, violente sous une apparence calme et croyant qu’elle ne ferait jamais assez de prières aux autres pour que Dieu lui pardonnât son passé.
Elle avait eu un tempérament ardent.
Rien de sombrement austère comme ces femmes dont le cœur a flambé d’un si beau feu d’amour quand elles avaient toutes leurs dents et tous leurs cheveux.
Ce qu’était l’abbé Roubiès à la supérieure, les uns ont dit son fils, d’autres son neveu.
Fils ?
Il aurait pu l’être, car la fanatique d’alors avait
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