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La belle époque

La belle époque

Titel: La belle époque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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l'édifice, par-dessus la raison sociale d'un boucher, apparaissaient à peine visibles les lettres suivantes : A LAV ELU.
    —    Voilà que cet excité a gagné ! s'exclama Thomas.
    —    Armand Lavergne ?
    —    Qui cela pourrait-il être, à part lui? Je ne suis même pas étonné : il est une source de distraction pour les électeurs de Montmagny, pendant les longues soirées d'hiver.
    L'humour sonnait faux. Après avoir embêté Wilfrid Laurier pendant près de quatre ans, ce serait au tour du premier ministre provincial d'avoir cette épine dans le pied.
    Des journalistes du Soleil se tenaient dans les locaux de l'Auditorium-, la grande salle de spectacle construite de l'autre côté de la rue Saint-Jean, contre le vieux mur d'enceinte de la ville. La collaboration de la direction de ce théâtre avec le quotidien venait d'autant plus facilement qu'il appartenait à un petit groupe de libéraux, parmi lesquels figuraient l'ancien premier ministre Simon-Napoléon Parent et... Thomas Picard. L'oreille collée à un récepteur de téléphone, de nombreux journalistes recevaient les résultats des divers bureaux de scrutin, hurlaient les chiffres à des collègues qui additionnaient rapidement des totaux.
    À cet effectif réduit, une petite armée de jeunes garçons venaient régulièrement en courant des bureaux de la compagnie télégraphique, car toutes les circonscriptions ne profitaient pas encore de lignes téléphoniques.
    Quand, dans l'une d'elles, une proportion appréciable des suffrages avait été enregistrée, les journalistes s'autorisaient à projeter le résultat contre le mur du marché. Comme tout ce scénario prenait du temps, des personnes se détachaient sans cesse de la foule pour aller se promener un peu, alors que d'autres se joignaient à elle.
    Le Parti libéral avait peut-être décidé d'égayer ses partisans par de joyeux flonflons, ou plus probablement, des musiciens désireux de tendre la main après une prestation endiablée saisirent l'occasion au vol. Bientôt, un orchestre commença à jouer sous les fenêtres du YMCA, de l'autre côté de la rue Saint-Jean. Un peu plus, et des couples se seraient mis à danser sous les étoiles, devenues visibles depuis que l'obscurité s'appesantissait sur la ville.
    Un « Oh ! » stupéfait parcourut la foule quand des lettres apparurent de nouveau sur le mur: S JAC LG BATTU. Thomas laissa échapper entre ses dents un juron bien senti, alors que quelques jeunes gens criaient encore leur enthousiasme.
    — Allons marcher un peu, proposa l'homme. Mes jeunes concitoyens me portent sur les nerfs, tout d'un coup.
    Elisabeth pendue à son bras, le commerçant s'engagea rue
    Saint-Jean. Après quelques dizaines de pas, ils s'arrêtèrent devant une vitrine proposant du matériel d'écriture. Mieux valait discuter un moment des qualités des excellents stylos plume venus d'Europe, plutôt que des mœurs électorales de ses contemporains.
    —    Cette défaite était-elle inattendue ? questionna son épouse quand ils reprirent leur marche.
    —    Totalement. Ce qui témoigne de l'incompétence des organisateurs du premier ministre. Tout au plus reconnaissaient-ils que Bourassa se battait bien.
    —    Edouard ne doit plus toucher le sol, maintenant.
    —    Penser que mon fils s'amuse de la situation ne me console pas tout à fait.
    A la mine préoccupée de son mari, bien visible à la lueur des réverbères, Elisabeth préféra ne pas commenter plus longuement l'efficacité des jeunes collégiens, même pas en âge de voter, venus au secours du grand homme. Les journaux avaient longuement décrit l'euphorie des spectateurs massés au Monument-National le vendredi précédent, et la longue promenade de Bourassa dans les rues de Montréal, sa voiture accompagnée d'une armée de partisans au comble de l'enthousiasme.

—    Mais cela ne portera pas trop à conséquence, le consola la jeune femme alors qu'ils continuaient vers l'est. Il sera élu dans Portneuf.
    —    Dans une certaine mesure, tu as raison. Tout de même, défaire le premier ministre dans son fief! Le symbole est là, puissant, susceptible d'alimenter la flamme des nationalistes pendant quelques années. Surtout, cela les galvanisera lors des élections fédérales, l'automne prochain.
    Bientôt, à leur droite, ils eurent sous les yeux l'édifice du photographe Livernois, une bâtisse en triangle enfoncée
    comme un coin entre deux rues.
    —

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